Un article publié récemment dans Molecular Psychiatry (Rang A, IF à 13.4) par une équipe japonaise interroge d’une part la pertinence de l’utilisation des antidépresseurs dans les suites d’un épisode dépressif, et d’autre part compare les différents antidépresseurs entre eux pour évaluer quelle molécule présente la meilleure efficacité dans cette indication.
Après un épisode de dépression, il est recommandé de maintenir le traitement pendant une durée variable après avoir atteint la rémission (c’est à dire la disparition des symptômes). Plusieurs règles existent, en général on retient qu’il est nécessaire de poursuivre le traitement au moins 1 an à pleine dose avant d’entamer la décroissance en cas de premier épisode dépressif sévère (certains disent 6 mois si l’intensité n’était que modérée), pendant 2 ans s’il s’agit d’un 2nd épisode, et en cas d’épisode récurrents (c’est à dire pour les patients qui ont souffert d’au moins 3 épisodes dépressifs sévère dans leur vie) alors il est souvent recommandé de traiter “sur le long terme”, c’est à dire pendant plusieurs années voire à vie : la balance bénéfice-risque est réévaluée de manière périodique, en prenant en compte les conséquences dramatiques que pourrait potentiellement avoir une rechute.
Dans le contexte actuel de “critique” des antidépresseurs (cf. l’article sur la controverse sérotoninergique), il est utile de questionner si cette poursuite des antidépresseurs pour une durée longue, en “maintenance” est réellement efficace et permet réellement d’éviter des rechutes dépressives. Pour cela, l’équipe de Taro Kishi et Nakao Iwata a réalisé une revue systématique et méta-analyse en réseau (une méthode “à la mode” qui permet de comparer et classer des molécule qui n’ont jamais formellement été comparées 2 à 2).
34 études ont ainsi été inclues dans la méta-analyse, soit des données portants sur 9384 patients, âgés en moyenne de 43 ans, et majoritairement des femmes (68%). Ils ont évalué le risque de rechute à 6 mois en fonction de différentes molécules, ainsi que le risque d’arrêt précoce de la molécule en raison d’effets indésirables.
En ce qui concerne la maintenance, leur analyse permet de retrouver le classement suivant

Ce graphique en “forest plot” s’interprète de la façon suivante : plus la molécule est décalée vers la droite, plus le risque de rechute est élevé. Lorsque les barres se superposent, cela signifie qu’il n’y a pas vraiment de différence significative. Cela permet de constituer 4 groupes :
- Groupe 1 : SERTRALINE seule
- Groupe 2 : De NEFAZODONE (non disponible en France) à VORTIOXETINE
- Groupe 3 : de ESCITALOPRAM à MILNACIPRAN
- Groupe 4 : VILAZODONE (non disponible en France) seul
Cela montre que la SERTRALINE semble avoir moins de taux de rechute que les autres traitements, avec cependant une différence non significative avec toutes les autres molécules jusqu’à la VORTIOXETINE.
Qu’est ce que cela signifie en pratique : d’abord cela souligne l’intérêt de poursuivre un traitement de maintenance, car s’il est possible de mettre en évidence de telles différences entre les molécules, il n’est à point douter que la différence est encore plus importante avec un placébo (ce qui a déjà été mainte fois démontrée). Ensuite cela montre l’intérêt, dans la majeure partie des cas, de proposer une des molécules du groupe 1 et 2.
Cependant il convient de noter : 1. Certains patients ne répondront qu’à certaines molécules du groupe 3 ou 4, et dans ces cas la, il est évidemment souhaitable de poursuivre ce traitement en maintenance. 2. Cette étude ne dit rien de l’efficacité en aigue de la molécule (une molécule peut permettre d’éviter la rechute, mais être moins efficace pour sortir de la dépression), et ne doit donc pas remettre en cause l’utilisation des molécules du groupe 3 ou 4 à mon sens, à fortiori chez des patients qui n’auraient pas répondu à d’autres molécules d’autres groupes.
Est ce que cela va changer notre pratique : peu probable, car les molécules du groupe 1 et 2 sont déjà les molécules les plus souvent prescrites, mais cela permet d’avoir des arguments supplémentaires pour nous aider à choisir dans certaines situations.