De nouvelles clés dans le traitement de la dépression : inverser le flux des signaux cérébraux avec la neurostimulation

Une étude, qui pourtant n’a pas fait grand bruit dans les médias, permet à la fois d’en apprendre plus sur la physiopathologie de la dépression, et sur les raisons de l’efficacité de la rTMS.

La rTMS est une technique qui produit des effets thérapeutiques grâce à des impulsions magnétiques focalisées qui vont stimuler une zone bien précise du cerveau. De nombreuses études antérieures avaient permis de comprendre pourquoi ces impulsions produisaient des effets antidépresseurs, et on avait notamment retenu :

  • Qu’une stimulation basse fréquence avait un effet inhibiteur en diminuant la transmission synaptique, possiblement via un effet gabaergique ( « Long Term Depression » LTD).
  • Qu’une stimulation haute fréquence avait un effet excitateur en augmentant la transmission synaptique, possiblement via un effet glutamatergique («  Long Term Potentiation » LTP).
  • Que la neuromodulation pouvait avoir un impact significatif sur la libération des monoamines, essentiellement Sérotonine et Dopamine, et également du GABA (notamment en cas de LTD) et du Glutamate (en cas de LTP).
  • Que le débit sanguin cérébral pouvait être modifié, à la fois sur la zone de stimulation, signant donc une modification du métabolisme local, mais également à distance, par l’activation de réseau neuronaux, signant une modification du métabolisme parfois dans des zones profondes du cerveau.
  • Qu’outre les monoamines et autres neuromédiateurs, la stimulation entrainait potentiellement des effets anti-inflammatoire (du moins on retrouve une baisse des marqueurs inflammatoires après une cure, sans savoir si c’est une cause ou une conséquence) ainsi qu’une augmentation de la libération de BDNF et de VEGF des facteurs de croissance qui participent à la neuroplasticité et qui ont donc des effets bénéfiques sur le long terme.

Mais une nouvelle étude menée par des chercheurs de Stanford et de Saint-Louis propose d’affiner ces explications, et trouve notamment que la rTMS pourrait avoir des effets en corrigeant le flux anormal de signaux cérébraux.

Plusieurs chercheurs décrivent en effet l’existence de flux d’activité neuronale qui iraient « à rebours » (« backward streams ») entre les zones clés du cerveau chez les patients souffrant de dépression alors que ce phénomène ne serait pas retrouvé chez les sujets sains ! Il s’agirait même d’après eux d’un nouveau biomarqueur de la dépression.   

Anish Mitra et l’équipe de Mark Raichle (Washington University, Saint Louis) ont mis au point un outil permettant d’analyser les différences de temps (même minimes) entre l’activation de différentes zones cérébrale pour révéler la direction de cette activité sur une IRMf. Ils se sont associés à l’équipe de Nolan William de Stanford (dont nous avions déjà parlé à propos du protocole SNT) et ils ont publié un article le 15 mai dernier dans Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS, IF 12.779, rang B), intitulé « Targeted neurostimulation reverses a spatiotemporal biomarker of treatment-resistant depression ».

“L’objectif était de voir si la rTMS a la capacité de changer la façon dont les signaux circulent dans le cerveau, car si cela ne marche pas, rien ne le fera …”

Anish Mitra

Les chercheurs ont ainsi recruté 33 patients chez qui on avait diagnostiqué un trouble dépressif majeur résistant au traitement. Vingt-trois d’entre eux ont reçu un traitement par SNT et 10 ont reçu un traitement sham (traitement fictif imitant le SNT) et ils ont comparé les données de ces patients à celles de 85 témoins sains sans dépression.

L’analyse des données en IRMf sur l’ensemble du cerveau a permis de confirmer l’une des hypothèses : dans le cerveau « non déprimé » (sujet sain) l’insula antérieure, une région qui intègre les sensations corporelles, envoie des signaux à une région qui régit les émotions, le cortex cingulaire antérieur. Autrement dit, le cortex cingulaire antérieur reçoit des informations sur le corps via l’insula antérieure (comme le rythme cardiaque ou la température), et il décide ensuite de ce qu’il doit ressentir sur la base de ces signaux.

Insula à gauche, Cortex Cingulaire antérieur (CCA) à droite, plus en profondeur dans le cerveau

Cependant, chez les trois quarts des participants souffrant de dépression, le flux d’activité était inversé : c’est le cortex cingulaire antérieur qui envoyait des signaux à l’insula antérieure et plus la dépression était sévère, plus la proportion de signaux allant dans le mauvais sens est élevée.

Ainsi, l’expéditeur et le destinataire d’un flux semblent avoir une réelle importance dans le fait qu’une personne soit ou non déprimée.

“C’est un peu comme si vous aviez déjà décidé de ce que vous alliez ressentir, et que tout ce que vous perceviez était filtré à travers cela”

Anish Mitra

Les auteurs soulignent que ce résultat est d’ailleurs en faveur des représentations cliniques sur la dépression : les choses qui sont normalement très agréables pour un patient, ne lui procurent soudain plus aucun plaisir, comme si le « signal plaisir » n’arrivait pas au cerveau. Les backward streams permettent d’expliquer cela : le signal plaisir induit par un stimuli externe et qui devrait normalement passer par l’insula puis aller au cortex cingulaire antérieur pour y être interprété ne le fait pas, et c’est au contraire le cortex cingulaire antérieur qui émet un flux vers l’insula.

Lorsque des patients déprimés ont été traités avec le protocole SNT, le flux de l’activité neuronale est revenu à la normale en l’espace d’une semaine, ce qui a coïncidé avec la disparition de la dépression.

Images du cerveau d’un patient souffrant de dépression majeure avant (à gauche) et après (à droite) un traitement par neuromodulation de Stanford, qui rétablit la synchronisation normale de l’activité dans le cortex cingulaire antérieur.

Les personnes souffrant de la dépression la plus grave – et dont les signaux cérébraux étaient les plus mal dirigés – étaient d’ailleurs les plus susceptibles de bénéficier du traitement.

“Nous sommes en mesure d’annuler l’anomalie spatio-temporelle de sorte que le cerveau des patients ressemble à celui de témoins normaux et en bonne santé. Par ailleurs, c’est la première fois en psychiatrie que ce changement biologique particulier – le flux de signaux entre ces deux régions du cerveau – prédit l’évolution des symptômes cliniques”

Nolan Williams

En effet, l’un des défis du traitement de la dépression est le manque de biomarqueur de réponse. A titre d’exemple, lorsqu’un patient a de la fièvre il existe différent biomarqueurs qui permettent d’orienter vers une cause inflammatoire, bactérienne, virale, etc. ce qui permet de déterminer le traitement approprié. Mais pour un patient souffrant de dépression, il n’existe pas de tests analogues même si la médecine de précision est en train de prendre son essors.  

Evidemment, toutes les personnes atteintes de dépression ne présentent pas ces « backward streams » / flux anormal d’activité neuronale, et il est même assez probable qu’ils ne soient pas retrouvés dans les dépressions légères ou modérées, mais il pourrait servir de biomarqueur de triage afin de proposer par exemple d’emblée un traitement plus actif s’ils sont présents, et notamment un traitement par neuromodulation. Ainsi les données d’IRMf pourront permettre à terme à la fois d’être un biomarqueur de la dépression, mais également d’aider à affiner la cible thérapeutique pour personnaliser le traitement : lorsqu’une personne souffre d’une dépression grave, nous pourrons à l’avenir rechercher ce biomarqueur pour déterminer si elle est susceptible de bien réagir à un traitement par rTMS.

Les chercheurs prévoient de reproduire l’étude sur un groupe plus important de patients et ils espèrent également que d’autres adopteront leur technique d’analyse pour découvrir d’autres indices sur la direction de l’activité cérébrale dans les données de l’IRMf. Par ailleurs il reste aussi a déterminer comment les autres techniques de neurostimulation agissent sur ces flux.

Article adapté de : Researchers treat depression by reversing brain signals traveling the wrong way, by Nina Bai, https://med.stanford.edu/news/all-news/2023/05/depression-reverse-brain-signals.html

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