Une approche intégrative du traitement de la dépression : quel rôle pour la supplémentation en vitamine D ?

L’approche intégrative en santé mentale consiste à aborder un trouble comme un système complexe défini par l’existence de relations causales non linéaires comportant différents niveaux d’organisation et des boucles de rétroaction (ce qui implique donc un grand nombre de niveau d’observation et d’interprétation qui se recoupent partiellement) pour aboutir à un ensemble cohérent de composants en interaction. Cette approche s’applique particulièrement bien aux maladies psychiatriques car ces dernières regroupent justement un ensemble très hétérogène de pathologies dont la variabilité physio-psycho-pathologique est importante.

Dans cette approche, les dimensions psychologiques (traumatismes passés, conscient / inconscient, structuration de la personnalité, mécanismes de défenses, etc.) et environnementales (stress internes et externes) sont fondamentales et de nombreux travaux, tant théoriques que cliniques, tentent d’éclairer ces aspects. La dimension neurobiologique aussi est explorée, et de plus en plus d’auteurs vont au delà de la simple question des neuromédiateurs (sérotonine, dopamine, noradrénaline, GABA, glutamate, NMDA, etc.) pour s’intéresser notamment :

  • Aux précurseurs des neuromédiateurs (acides aminés, vitamines, etc.)
  • Aux facteurs organopsychiatriques (inflammation, hormones, etc.)
  • Au métabolisme cérébral (débit sanguin cérébral, connectome, etc.)

Ces dernières années la piste inflammatoire s’est imposée au premier plan, cependant l’ampleur de son impact reste incertain, car même si certains chercheurs commencent à la considérer comme l’une des principale cause de dépression, le sens de la causalité nécessite d’être précisé : est-ce l’inflammation qui entraine ou majore la dépression ? ou est-ce la dépression qui provoque l’inflammation ? En effet, il est par exemple démontré que les stress psychosociaux et les événements de vie négatifs ou traumatiques provoquent d’abord une augmentation des biomarqueurs pro-inflammatoires tels que l’IL-1β, l’IL-6 et la CRP, avant que la dépression n’apparaisse, suggérant que l’inflammation peut être “réactionnelle” à des facteurs psychologiques.

En réalité, il est probable qu’il s’agisse d’un système dit “d’interaction réciproque” avec une relation à double sens entre inflammation et dépression.

La dépression secondaire à des modification des régions cérébrales qui régulent l’humeur (ex : système limbique, hippocampe, hypothalamus) pourrait augmenter les cytokines pro-inflammatoires, et réciproquement cette augmentation des cytokines pro-inflammatoires (notamment IL-1β, IL-6 et CRP), peut altèrer certaines fonction mitochondriales ce qui pourrait impacter les neurones et provoquer secondairement une dépression. IL-1β et IL-6 jouent un rôle régulateur dans les réponses immunitaires et dans la différenciation de certains neurones et sont donc associée à plusieurs autres maladies dont la composante inflammatoire est importante, notamment l’obésité, les maladies inflammatoires de l’intestin, certains types de tumeurs malignes, l’inflammation oculaire, etc. Le rôle de IL-6 dans le développement de la dépression, a récemment été confirmé potentiellement par des études sur modèle animaux puisqu’une étude expérimentale a rapporté que les souris knock-out pour l’IL-6 (c’est à dire ne pouvant pas l’exprimer) bénéficiaient d’une résistance accrue aux comportements dépressifs (induit par le stress).

De même, l’association entre CRP et dépression est très étudiée : de récentes études ont rapporté que des concentrations sériques élevées de CRP avaient été retrouvé chez les sujets atteints de trouble dépressif, en particulier chez ceux qui étaient résistants au traitement. Une étude montrait même qu’il pouvait s’agir d’un marqueur prédictif permettant de personnaliser le traitement puisque les patients qui avaient un taux de CRP us > 3 répondaient mieux aux tricycliques tandis que ceux qui avaient un taux < 3 répondaient mieux aux ISRS. Evidemment il a été suggéré que les taux plus élevé de CRP dans ces populations de patients pouvaient être liées au tabagisme et aux habitudes alimentaires, cependant l’association entre la CRP et la dépression est restée significative même après un ajustement complet pour tous les facteurs de confusion.

Partant de ce constat, plusieurs auteurs ont envisagé des pistes de traitement psychonutritionnelles puisque l’association entre alimentation et inflammation est maintenant solidement documentée. Des approches diététiques ont été suggérées pour améliorer la dépression en ciblant des voies spécifiques impliquées dans l’inflammation, notamment le stress oxydatif, l’HPA et l’obésité, entre autres.

L’un des facteurs alimentaires les plus étudiés en relation avec les troubles mentaux est la vitamine D. L’exploration du récepteur de la vitamine D (VDR) dans le système nerveux central (SNC) a ouvert de nouvelles perspectives sur les fonctions dites “non calciques” de ce sécostéroïde. De nouvelles études indiquent un large spectre d’activités pour la vitamine D dans le SNC, y compris l’hémostase énergétique par le système central rénine-angiotensine (RAS) associé à un effet protecteur contre l’auto-immunité grâce à l’atténuation de l’activation de la microglie. Les propriétés anti-inflammatoires et anti-oxydantes de la vitamine D ont déjà été documentées dans d’autres contextes cliniques mais l’évaluation de ces effets en ce qui concerne la dépression nécessite davantage d’études.

Pour répondre répondre à cette question, un récent essai contrôlé randomisé parut dans BMC Psychiatry (Rang C, IF 4.1) a été mené en Iran par l’équipe de Mina Kaviani (référence ici). Dans cet essai de 8 semaines en double aveugle, 56 patients (18 à 60 ans) souffrant de dépression légère à modérée ont été répartis au hasard entre :

  • Un groupe “actif” : 50 000 UI de cholécalciférol toutes les 2 semaines
  • Un groupe “contrôle” : placebo

Plusieurs tests biologiques (taux de vitamine D, hormone parathyroïdienne intacte PTH, interlukine IL-1β, IL-6, CRP) ont été réalisés, de même que des échelles de sévérité de la dépression en auto-questionnaire (BDI-2) avant la mise sous traitement et à la fin du protocole.

Cette étude montre que l’impact de la supplémentation a eut un bénéfice statistiquement significatif sur les scores de dépression avec une baisse de 11,75 points (± 6,40) dans le groupe actif et de seulement 3,61 points (± 10,40) dans le groupe placébo. Aucune différence significative au sein ou entre les groupes n’a été observée dans les concentrations sériques d’IL-1β, d’IL-6 et de CRP. Ainsi l’augmentation des concentrations circulantes de vitamine D après une supplémentation de 8 semaines a la dose de 50 000 UI toutes les 2 semaines a entraîné une diminution significative des scores BDI-2 chez les patients souffrant de dépression légère à modérée avec un effet indépendant des concentrations sériques des biomarqueurs inflammatoires étudiés.

De nombreuses autres approches psychonutritionnelles permettent de faire diminuer l’inflammation systémique, et donc pourraient potentiellement avoir un bénéfice sur l’évolution de la dépression avec de plus en plus d’éléments probants permettant de dire qu’ils présentent un intérêt en add-on d’un traitement antidépresseur. Citons notamment :

  • Les omega-3
  • L’acide folique (vitamine B9)
  • La N-Acétyl-Cystéine
  • Le Saffran et le Curcuma
  • Etc.

En conclusion, à la lumière des diverses études qui ont pu être réalisées ces dernières années il apparait assez clairement que la balance bénéfice-risque est favorable à l’optimisation des taux vitaminique chez les patients souffrant de trouble dépressif, notamment léger et modéré, en add-on des thérapeutiques usuelles, avec un bon niveau de preuve pour un certain nombre de vitamines, notamment de la vitamine D, mais également des vitamines du groupe B et des omega-3.

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