Neurostimulation et Neurodopage

La littérature scientifique a longtemps ignoré l’implication du cerveau dans les performances sportives : l’essentiel des publications portaient sur le système cardiorespiratoire (améliorer l’oxygénation), et sur le système musculaire (force, puissance et récupération musculaire). Progressivement s’est développé tout un champ de recherche sur les autres systèmes impliqués dans la performance, et de nombreux chercheurs se sont alors penché sur les produits permettant d’augmenter la confiance en soi (euphorisants par exemple), de lutter contre la fatigue ou d’augmenter sa concentration (psychostimulants), etc. avec donc un intérêt croissant pour le système nerveux (central ou périphérique).

Depuis plusieurs années les sportifs de haut niveau (leurs entraineurs surtout) s’intéressent de près aux neurosciences avec l’essor de 3 grandes thématiques : les psychotropes, le neurofeedback, les techniques de neurostimulation non invasives telles que la tDCS et la rTMS. Dans cet article nous proposons de faire un focus sur la tDCS dans le domaine du neurodopage à l’occasion de la sortie dans la revue Brain Stimulation (Rang A, IF à 9.184) d’un article intitulé “Single-session anodal transcranial direct current stimulation to enhance sport-specific performance in athletes: A systematic review and meta-analysis” (lien ici)

Disons le tout de suite, les conclusions de cet article permettent de répondre assez formellement qu’en effet, la tDCS anodale permet d’améliorer les performances sportives chez les athlètes, et que la cible qui semble la plus efficace est le cortex moteur M1. Le bénéfice est le plus significatif dans les sports ou la coordination visuo-motrice est plus importante.

L’équipe de Tom Maudrich et Rouven Kenville de l’Université de Leipzig (Allemagne) ont inclus 19 études portant sur 258 sportifs de haut niveau, traités par une seule session de tDCS afin d’évaluer si cette session avait des effets bénéfique sur les performances. Toutes ces études sont réalisée contre placébo (Sham).

En synthèse (n = nombre d’étude) :

Durée du protocole 20 minutes (n = 13)
30 minutes (n = 2)
13 minutes (n = 2)
15 minutes (n = 2)
Zone de stimulation anodale
(classé par fréquence)
Cortex moteur M1 (C3)
Cortex préfrontal gauche (F3)
Cortex temporal gauche (T3)
Cervelet droit (CB2)
Cortex supraorbitaire gauche (Fp1)
Zone de stimulation cathodale
(classé par fréquence)
Cortex supraorbitaire droit (Fp2)
Cortex supraorbitaire gauche (Fp1)
Cortex moteur M1 (C3)
Epaule droite ou gauche
Nuque (vertèbre C5 – T1)
Intensité de stimulation (en mA)2 (n = 14)
1.5 (n = 4)
2.2 (n = 1)
Type de sportif Cyclistes (n = 4)
Combattant (n = 3)
Nageurs (n = 3)
Endurance (n = 3)
Tireurs (n = 1)
Rameurs (n = 1)
Parkour (n = 1)
Basket Ball (n = 1)
Volley Ball (n = 1)
Bodybuilder (n = 1)
RésultatsAmélioration des performances sportives
dans 12 études sur 19

Quand on regarde dans le détail des résultats, on remarque que les études positives ont comme caractéristiques :

SportifAnodeCathodeRemarque
Cycliste T3Fp2Augmentation de la puissance (PPO)
CyclisteC3 ou C4Fp1 ou Fp2Amélioration du temps sur 15 km
CyclisteF3 ou F4Fp1 ou Fp2Amélioration du temps sur 5 km
TireurCB2F3Amélioration du “shooting score”
BodybuilderM1 ou T3épaulesAmélioration de l’endurance
EnduranceM1 épaulesAugmentation du nombre de squat chargé
BasketballM1 (Cz)M1 (C5, C6)Amélioration de la hauteur de saut
ParkourM1F3Amélioration des performances de saut
BoxeurM1NuqueAmélioration du temps de réaction
NageursFp1Fp2Amélioration du “3 min all-out” test
NageursF3Fp2Amélioration des performance dans une
épreuve de nage libre en état de fatigue mentale
VolleyballM1 (Cz)M1 (C5, C6)Amélioration des smashs (spiking test)

Comme on peut le voir ces protocoles sont relativement hétérogènes même s’il existe une claire sur-représentation de la stimulation anodale M1 dans les études positives. L’amélioration des performance porte à la fois sur des éléments de puissance / force, mais également sur le temps de réaction (boxeurs) et la précision (tireurs). Sur les 3 études sur combattants (1 étude sur boxeurs et 2 études sur ceintures noires de taekwondo) seule l’étude portant sur le temps de réaction est positive. Les deux autres études (taekwondo) portaient sur d’autres marqueurs de performance (nombre de coup de pied et Progressive Specific Taekwondo Test).

Quand on regarde l’effet global de la tDCS sur les performances, on observe un effet bénéfique modeste mais statistiquement significatif en faveur de la tDCS

Maudrich et al. concluent leur article en tentant de donner un rationnel neurophysiologique à cet effet de la tDCS, notamment en rappelant l’implication des zones cérébrales dans l’exécution et le contrôle des performances sportives, et plus particulièrement le cortex moteur primaire (M1), le cortex temporal (CT), le cortex préfrontal (CPF) et le cervelet (CB). Ainsi de précédentes études avaient retrouvé que la stimulation M1 améliore la force musculaire, mais toute la littérature n’est pas concordante, d’ailleurs sur les 11 études sur M1 qu’ils ont inclut dans leur méta-analyse, seules 6 ont montré un effet bénéfique. La stimulation anodale sur M1 augmente l’excitabilité de M1 ce qui améliore potentiellement l’entraînement neuronal des muscles de travail et donc peut conduire à des améliorations de la performance physique (force, capacités neuromusculaires).

Un autre mécanisme possible serait que la stimulation M1 retarde l’apparition de la fatigue dite centrale. Enfin on sait déjà depuis longtemps que la stimulation M1 améliore la tolérance à la douleur (démontré à la fois en tDCS et rTMS) et comme il est également démontré que les individus ayant une meilleure tolérance à la douleur sont plus performants, il n’est pas impossible que l’effet antalgique de la stimulation ait un impact dans l’amélioration de la performance.

D’autres études incluses stimulent le cortex préfrontal (CPF). Pour rappel le CPF est considéré comme la “tour de contrôle” du cerveau de part sa capacité à inhiber les structures sous-corticales. Ainsi il existe un contrôle inhibiteur du CPF pendant l’activité motrice et donc l’hypothèse de la stimulation du CPF serait qu’une augmentation de l’excitabilité de ce cortex conduit à une réduction de l’effort pour le contrôle inhibiteur pendant l’activité motrice. Autrement dit, l’effort perçu pendant l’exercice serait réduit et la fin de l’exercice serait repoussée : cela “leurre” le cerveau en lui modulant sa capacité à percevoir l’effort. Le contrôle inhibiteur médié par les zones préfrontales pouvant contribuer à la perception globale de l’effort pendant l’exercice, la tDCS réduit l’effort cognitif nécessaire pour exercer le contrôle inhibiteur, permettant donc des niveaux de performance plus élevés avec le même effort perçu. Par ailleurs, la capacité à maintenir l’oxygénation du CPF à une intensité d’exercice élevée est liée aux meilleure performance en endurance : l’oxygénation du CPF diminue avant le début de la fatigue (ce qui souligne l’importance du CPF dans la régulation cognitive de l’activité motrice). Ainsi la tDCS peut potentiellement améliorer l’oxygénation du CPF et donc retarder l’apparition de la fatigue (cependant cet effet semble encore débattu chez l’homme, même si démontré chez le rat).

Enfin, le cervelet semble également une cible intéressante (notamment chez les tireurs) avec l’hypothèse dites “forward” qui implique que le cervelet reçoit une “copie” de la commande motrice et calcule les conséquences sensorielles de cette commande par le biais d’entrées provenant de la périphérie (ce qui permet donc une adaptation dynamique à l’environnement). La tDCS cérébelleuse est ainsi principalement utilisée dans le but de réduire les erreurs pendant les tâches motrices : les études antérieures ont observé une réduction des erreurs de mouvement dans diverses tâches par ajustements posturaux.

Dans le cas des tireurs, l’amélioration des performance de tir peut donc potentiellement être liée à une adaptations posturales rapides permettant aux tireurs de réduire les tremblements physiologiques.

En résumé, 3 cibles sortent du lot : M1 (force, tolérance à la douleur), CPF (endurance, fatigue) et cervelet (ajustement posturaux).

L’amélioration des performances sportives (neurodopage) et l’amélioration des performances cognitives (neuroenhancement) à l’aide des techniques de neurostimulation nous amène a nous interroger sur plusieurs concepts (homme augmenté, transhumanisme, interface homme machine) qui confinent aux limites de la médecine, et qui doivent sans doute être débattus par des philosophes plus que par des médecins. Alors, le neurodopage ? Dérive ou révolution ?

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