Dans un récent rapport publié par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), le coût social de la consommation de tabac, d’alcool et de drogues illicites en France a été estimé à 156 milliards d’euros, 102 milliards d’euros et 7,7 milliards d’euros respectivement pour l’année 2019. Le professeur Pierre Kopp de l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), auteur du rapport, rappelle que le coût social des drogues comprend le coût des conséquences de leur consommation et de leur trafic pendant une année moyenne de la décennie. Ce coût comprend :
- – La valeur des vies humaines perdue
– La perte de la qualité de vie
– Les pertes de production
– Les dépenses publiques liées à la prévention
– La répression
– Les soins.
Cela va donc un peu plus loin que les Années de Vie Corrigées de l’Incapacité (AVCI) qui ont été utilisée dans la récente étude sur le poids des pathologies psychiatriques. La majeure partie du coût social est attribuée au coût externe, avec 96% pour l’alcool, 99% pour le tabac et 68% pour les drogues illicites. Ces pourcentages reflètent principalement le nombre de vies perdues (41.080 pour l’alcool, 73.189 pour le tabac, et 1.230 pour les drogues illicites) et le coût associé à chaque année de vie perdue, fixé à 115.000 euros.
Kopp ajoute également que le coût social peut être lié au nombre de consommateurs, qui sont à l’origine de la majeure partie de ces coûts. Il estime qu’il y a en France 3,5 millions de consommateurs d’alcool à risque, 13 millions de fumeurs quotidiens, 300.000 consommateurs réguliers d’opioïdes et de stimulants et/ou de personnes qui s’injectent une drogue, et un million d’usagers susceptibles de présenter un risque d’usage problématique du cannabis.
L’étude souligne que le coût social des drogues dépasse largement les recettes fiscales générées. Malgré les taxes prélevées sur l’alcool et le tabac et les économies réalisées sur les pensions de retraite non versées en raison des décès, le coût des soins dépasse ces recettes. Ainsi, l’idée que ces substances puissent être financièrement bénéfiques pour l’État est totalement remise en question.

Dans ce contexte, l’analyse de études sur la rTMS dans le champs des addictions prend tout son sens.
En Janvier 2022, deux méta-analyses et 6 revues de la littératures ont été publiées sur le traitement par neuromodulation des troubles addictifs.
Concernant les méta-analyses, la première a été publiée dans The Journal of Neuropsychiatry and Clinical Neuroscience (IF 2.1) en 2017 (ici) et la dernière dans Addiction (IF 6.3) en 2019 (ici).
Pour les revues de la littérature, l’une s’est focalisée sur la cocaïne (ici), une autre sur les troubles addictifs, l’hyperphagie et l’obésité (ici), une autre revue propose un consensus (ici), une autre s’intéresse à la DeepTMS (ici), une autre propose d’appliquer les recommandations SORT (niveau de preuve) à la rTMS (ici) et enfin la dernière (et plus ancienne) ouvre la voie (ici).
Analyse des méta-analyses
La méta-analyse de 2017 conclue qu’il existe un net intérêt de la rTMS pour le traitement de l’addiction au tabac mais que les résultats sont incertains pour l’alcool. Celle de 2019, qui s’intéresse de manière globale à l’effet de la rTMS sur les addictions aux substances, retrouve une efficacité en aigue sur la réduction du craving et sur la consommation des substances addictogènes.
Si l’on souhaite aller dans le détail, la méta-analyse de 2017 retrouve :
Etude / Année / Auteur | Substance | Protocole | Participants | Echelle | Résultat |
RCT / 2009 / Amiaz | Nicotine | 10Hz CPFDL-G 100% SM 1000 pulses 10 jours | Mixte Sham : 9 rTMS : 12 | EVA sTCQ | Positifs |
RCT / 2010 / Mishra | Alcool | 10Hz CPFDL-D 110% SM 1000 pulses 10 jours | Hommes Sham : 15 rTMS : 30 | ACQ-NOW | Positifs |
RCT / 2011 / Höppner | Alcool | 20Hz CPFDL-G 90% SM 1000 pulses 10 jours | Femmes Sham : 9 rTMS : 10 | OCDS | Négatifs |
RCT / 2012 / Herremans | Alcool | 20Hz CPFDL-D 110% SM 1560 pulses 1 séance | Sham : 16 rTMS : 15 | OCDS | Négatifs |
RCT / 2012 / Herremans | Alcool | 20Hz CPFDL-D 110% SM 1560 pulses 1 séance | Sham : 16 rTMS : 13 | OCDS | Négatifs |
RCT / 2013 / Li | Nicotine | 10Hz CPFDL-G 100% SM 3000 pulses 1 séance | 14 patients Cross-over | EVA | Positifs |
RCT / Dinur-Klein / 2014 | Nicotine | Deep TMS CPF Bilatéral Insula LF : – 1Hz – 600 pulses HF : – 10Hz – 990 pulses | Sham : 31 LF : 14 HF : 32 | sTCQ | Négatifs |
Sujet est son propre controle / Pripfl / 2014 | Nicotine | 10Hz CPFDL-G 90% SM 1200 pulses | 11 patients | EVA sur 5 | Positifs |
Etude ouverte / Girardi / 2015 | Alcool | Deep TMS CPF Bilatéral 20Hz 120% SM 2200 pulses | TAU : 10 dTMS : 10 | OCDS | Positifs |
RCT / Ceccanti / 2015 | Alcool | Deep TMS CPF médian 20Hz 120% SMT 1500 pulses | Sham : 9 dTMS : 9 | EVA | Positifs |
L’analyse de ce tableau montre 3 études positives sur 4 pour l’addiction à la nicotine, et 3 études positives sur 6 pour l’addiction à l’alcool. Cependant concernant l’alcool, on peut questionner l’inclusion en “double” de l’étude de Herremans et al. 2012 qui est 2 fois dans le tableau alors qu’il s’agit de la même étude publiée dans 2 revues différentes (1. Drug Alcohol Depend et 2. Alcohol), d’autant que cette étude consiste en 1 seule séance de rTMS sur le CPFDL droit. Si l’on exclue cette étude (ce qui aurait du être fait dans la méta-analyse en réalité), cela signifie qu’il y 3 études positives sur 4 pour l’alcool aussi.
Concernant la méta-analyse de 2019, elle différencie plusieurs cas, notamment :
- rTMS Haute Fréquence sur le DLPFC gauche :
Amiaz R et al (2009)a | Nicotine | Positive | S |
Amiaz R et al (2009)b | Nicotine | Négative | s.o |
Johann M et al (2003) | Nicotine | Positive | ns |
Li X et al (2013) | Nicotine | Positive | ns |
Li X et al (2017) | Nicotine | Positive | ns |
Pripfl Jet al (2014) | Nicotine | Positive | ns |
Liang Y et al (2018) | Méthamphétamine | Positive | S |
Liu Q et al (2017) | Méthamphétamine | Positive | S |
Su H et al (2017) | Méthamphétamine | Positive | ns |
Shen Y et al (2016) | Héroïne | Positive | S |
Terraneo A et al (2016) | Cocaïne | Positive | S |
Sahlem G et al (2018) | Cannabis | Négative | s.o |
Del Felice A et al (2016) | Alcool | Positive | ns |
Total | Total | Positif | S |
- rTMS Haute Fréquence sur le DLPFC droit :
Dieler A et al (2014) | Nicotine | Négative | s.o |
Liu Q et al (2017) | Méthamphétamine | Positive | S |
Herremans S et al (2012) | Alcool | Négative | s.o |
Herremans S et al (2013) | Alcool | Négative | s.o |
Herremans S et al (2015) | Alcool | Négative | s.o |
Mishra B et al (2010) | Alcool | Positive | S |
Total | Total | Négatif | s.o |
On notera que les 2 premières études de Herremans S et al. sont, comme précédemment, des études sur 1 seule séance de rTMS.
Concernant les études en basse fréquence, que ce soit sur le CPFDL gauche ou droit, cette méta-analyse ne retrouve pas d’études retrouvant des résultats positifs.
Conclusion intermédiaire sur les méta-analyses :
- Concernant la nicotine et les méthamphétamines les résultats sont positifs, avec un bon niveau de preuve.
- Concernant l’alcool, les preuves restent relativement incertaines mais si on exclu les études “one session”, l’effet semble prometteur, mais surtout en DeepTMS pour le moment (CPF bilatéral ou CPF médian) ou en HF CPFDL-droit (étude de Mishra et al. 2010 mais non répliquée pour le moment).
Analyse des revues de la littérature
La première revue de la littérature en 2012 (ici) c’était centrée uniquement sur l’alcool. A l’époque le nombre d’étude ne permettait pas de conclure.
Sur la cocaïne spécifiquement en 2021 (ici) : 12 études incluses, la conclusion est une efficacité sur la réduction du craving et de la consommation
Etude / année | Type | n | Protocole | Résultat |
Bolloni (2016) | RCT | 18 | Deep rTMS vs Sham CPF Bilatéral Groupe 1 = 10 Hz Groupe 2 = Sham 100–120% SM 12 séances 3 fois/semaine | Analyse de la cocaïne dans les cheveux : pas de différence significative entre les groupes |
Gómez (2020) | Série de cas | 87 | rTMS CPFDL-Gauche 15 Hz 100% SM 2 séances par j/5j puis 2 par semaine/12s | – 97% des patients ont réduit leur consommation à J30 – 95% avaient aussi une réduction à 3 mois Amélioration de tous les autres scores (sommeil, dépression, etc.) |
Hanlon (2015) | RCT | 11 | cTBS vs Sham CPF médian 5 Hz 110% SM 2 séances espacé de 7 à 14j | Pas de différence significative entre les groupes |
Hanlon (2017) | RCT | 25 | cTBS vs Sham CPF médian 5 Hz 110% SM 2 séances espacé de 7 à 14j | Pas de différence significative entre les groupes |
Madeo (2020) | Série de cas | 147 | rTMS vs TAU CPFDL-Gauche 15 Hz 100% SM 2 séances par j/5j puis 2/j une fois/semaine | Médiane de rechute : 91 jours dans rTMS 51 jours dans TAU |
Martínez (2018) | RCT | 18 | rTMS 10Hz vs 1Hz CPF médian HF: 10 Hz LF: 1 Hz Groupe 3 = Sham 90–110% 1/j pendant 3 semaine | Différence significative pour ce qui est de préférer l’argent à la cocaïne dans les groupes rTMS |
Pettorruso (2019) | Série de cas | 16 | rTMS CPFDL-Gauche 15 Hz 100% SM 2 par jour /5j Puis 2 par semaine Puis 1 par semaine | Négativation des test urinaire chez 56.25% des patients rTMS |
Politi (2008) | Série de cas | 36 | rTMS CPFDL-Gauche 15 Hz 100% SM 1 séance par jour Pendant 10 jours | Réduction significative du craving |
Rapinesi (2016) | Série de cas | 7 | Deep rTMS CPF Bilatéral 20 Hz 100% SM 3 séance par semaine Pendant 4 semaine | EVA craving significativement diminuée à la fin du traitement chez 64.7% des patients EVA craving qui reste diminué à 1 mois chez 39.6% des patients |
Sanna (2019) | Essai contrôlé | 47 | iTBS vs rTMS-HF 15Hz PFC HF-rTMS : 100% SM iTBS : 80% SM 1 séance par jour Pendant 4 semaine Puis 4 séances en 2ème semaine Puis 3 séances en 3ème et 4ème | Pas de différence significative entre les groupes |
Steele (2019) | Série de cas | 19 | iTBS CPFDL-Gauche 90-120% SM 3 séance par jour Pendant 10 jours | Diminution du nombre de jour de consommation après 7 semaine de 3 jours par semaine Diminution des dépenses à 1 mois de 167$ |
Terraneo (2016) | RCT | 32 | rTMS vs TAU CPFDL-Gauche 15 Hz 100% SM 1 séance par jour Pendant 5 jours Puis 1 par semaine Pendant 3 semaines | Négativation des test urinaire chez 69% des patients rTMS vs 19% dans TAU EVA craving significativement plus diminué chez rTMS |
Le résultat de cette revue permet de conclure que le cTBS sur le CPF médian ne fonctionne pas, en revanche les autres techniques notamment rTMS HF sur CPFDL-gauche ont l’air de permettre une diminution de la consommation et du craving
Sur les troubles addictifs, l’hyperphagie et l’obésité en 2021 (ici) : 22 études de type RCT (3 sur l’alcool, 3 sur toutes la dépendance à une substance, 12 sur la nicotine et 4 sur l’hyperphagie, soit 720 patients en tout).
La conclusion de la revue est qu’une stimulation Haute Fréquence sur le CPFDL (gauche > droit) permet :
– De réduire de manière significative le craving
– De réduire de manière significative la consommation
– D’augmenter l’abstinence
Directement après l’intervention, mais aussi à distance avec une durée de suivi moyenne de 84 jours après traitement.
Sur la DeepTMS dans les troubles addictifs en 2018 (ici) : la conclusion après analyse de 9 études retrouve que cette technique pourrait être efficace à la fois à court et long terme
Etude / Année | Substance | n | Protocole | Résultat |
Rapinesi (2013) | Alcool | 3 | Série de cas 20Hz 120% SM 20 séances | Diminution du craving en aigu et à 6 mois |
Rapinesi (2014) | Alcool | 1 | Case report 18Hz 120% SM 20 séances | Diminution du craving en aigu et à 12 mois Augmentation de l’abstinence |
Ceccanti (2015) | Alcool | 18 | RCT vs Sham 20Hz 120% SM 10 séances 1500 pulses/séance | Pas de différence significative entre les groupes |
Girardi (2015) | Alcool | 10 | Etude Ouverte 20Hz 120% SM 20 séances | Diminution du craving en aigu et à 6 mois |
Rapinesi (2015) | Alcool | 11 | Etude Ouverte 18Hz 120% SM 20 séances 1980 pulses/séance | Diminution du craving en aigu et à 6 mois |
Addolorato (2017) | Alcool | 11 | RCT vs Sham 10Hz 100% SM 12 séances | Diminution de la consommation quotidienne dans le groupe dTMS |
Dinur-Klein (2014) | Nicotine | 77 | RCT : – 10Hz (990 pulses/séance) – 1 Hz (600 pulse/séance) – Sham 13 séances | 10Hz plus efficace que le Sham pour diminuer la consommation et augmenter l’abstinence 1Hz inefficace |
Bolloni (2016) | Cocaïne | 10 | RCT vs Sham 10Hz 100% SM 12 séances | Pas de différence entre les 2 groupes |
Rapinesi (2016) | Cocaïne | 7 | Etude Ouverte 20Hz 100% SM 12 séances | Diminution du craving en aigu et à 2 mois |
L’analyse de cette revue permet d’affirmer que la dTMS semble efficace pour diminuer le craving et la consommation en alcool et en nicotine, en revanche les résultats pour la cocaïne sont incertain et contradictoires.
Concernant l’application des recommandations SORT (niveau de preuve) à la rTMS (ici) dans le champs des addictions : Cette revue a sélectionné 70 articles sur lesquels ils ont appliqué les recommandations SORT (Strength of Recommendation Taxonomy guidelines) pour les classer en fonction du niveau de qualité de l’étude et donc du niveau de recommandation que l’on peut en attendre.
Substance | n études | Qualité | Recommandation | Efficacité |
Nicotine | 11 | 1 | B | 218/289 |
Alcool | 8 | 2 | B | 126/193 |
Cocaïne | 5 | 2 | B | 86/128 |
Hyperphagie | 7 | 3 | B | 134/169 |
Héroïne | 1 | 3 | C | / |
Metamphétamine | 2 | 3 | C | / |
Cannabis | 1 | 3 | C | / |
Jeu pathologique | 2 | 3 | C | / |
Le niveau de recommandation B consiste à dire qu’il existe un niveau de preuve basé sur des données limitées du fait du faible nombre d’études sur le sujet. Pour cette raison plus d’études et de série de cas sont nécessaires pour continuer d’étayer cette technique qui semble suffisamment prometteuse dans les addictions pour que la FDA ait déjà donné un agrément pour le traitement de l’addiction à la nicotine : https://www.medscape.com/viewarticle/936234
En mai 2022, une étude particulièrement intéressante à retenue notre attention récemment. L’équipe de Zhang et al. a publié dans Frontiers in Behavioral Neurosciences (Rang B, IF 3.5) une étude testant le protocole suivant : 10 sessions de HF 20Hz sur le CPFDL gauche (protocole adapté de Herremans et al., 2013, 2015; Ceccanti et al., 2015; Girardi et al., 2015) entre 80 et 110% du SMT (5 secondes on, 15 seconde off), 2000 pulses par session contre sham. 45 participants ont pu être répartis en 2 groupes (30 dans le groupe actif et 15 dans le groupe sham) et plusieurs évaluations ont été effectuées (EVA, questionnaires) notamment un dosage des Neurofilament Light Chain (NfL).
Les résultats sont positifs, avec notamment une nette amélioration statistiquement significative sur plusieurs plans dans le groupe actif :
- – Moins de jour de “heavy drinking”
– EVA craving diminuées
– Fonctionnement social amélioré
– NfL diminué
Cette étude encourageante permet de renforcer la possibilité d’envisager des protocoles HF 20Hz CPFDL gauche pour diminuer le craving et la consommation d’alcool chez les patients alcoolodépendants.
