L’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la psychiatrie soulève un certain nombre de défi. Au premier plan on retrouve évidemment des enjeux éthiques et de confidentialité (gestion des données sensibles des patients). Mais on imagine aussi de superbes promesses. Par exemple, ChatGPT, par sa capacité à traiter et analyser de grandes quantités d’informations, pourrait offrir une précision et une fiabilité accrues dans le diagnostic et le traitement des troubles psychiatriques.
Comment ? Plusieurs rôles peuvent être imaginés : ChatGPT pourrait affiner les diagnostics en intégrant le verbatim des conversations par exemple, ou alors on pourrait s’en servir pour faciliter la communication car sa capacité à vulgariser, expliquer, fluidifier les conversations pourrait permettre de mieux “traduire” le langage médical (et pourrait également permettre à des patients de mieux préciser leur pensées), ou encore on pourrait imaginer s’en servir comme d’un chatbot de télésurveillance, etc.
En intégrant ChatGPT et des technologies similaires dans le domaine de la psychiatrie, il deviendrait possible de repousser les frontières du soin et du soutien psychologique.
Ainsi, si l’on voulait essayer de d’évaluer les aptitudes de ChatGPT en psychiatrie, on pourrait distinguer 2 grands domaines :
1 La communication : la capacité de ChatGPT à comprendre et générer du texte de manière contextuelle pourrait potentiellement être une aide dans pour les patients qui éprouvent parfois des difficultés à exprimer leurs émotions. ChatGPT pourrait permettre une articulation plus claire et concise des sentiments et expériences, favorisant une meilleure compréhension entre les patients et les professionnels.
2 La collecte et l’analyse de données : ChatGPT pourrait analyser le langage en vue de détecter des tendances et des signaux précurseurs de comportement (ex : comportements suicidaires, dépressifs, anxieux, etc.). Cette surveillance continue pourrait favoriser des intervention précoce, potentiellement salvatrice, ce qui améliorerait incontestablement la qualité des soins. Par ailleurs ses capacités de synthèses devrait lui permettre de réaliser des diagnostics cliniques en mimant le raisonnement médical.

Une étude hollandaise intitulée “La performance de ChatGPT dans la génération de réponses à des questions cliniques en psychiatrie : une évaluation à deux niveaux” publiée dans le journal World Psychiatry (IF 73.3, rang A) a été réalisée par l’équipe de Jurjen J. Luykx et Christiaan H. Vinkerstente afin d’apporter un éclairage sur ce sujet (ici).
Cette étude est conçue en deux phases distinctes :
Phase 1 : Élaboration des questions et évaluation des réponses
Dans cette première phase, deux évaluateurs ont créé un ensemble de 40 questions portant sur des sujets variés liés à l’épidémiologie, au diagnostic et au traitement en psychiatrie. Puis ils ont soumis ces questions à ChatGPT et ses réponses ont été évaluées en termes d’exactitude, d’exhaustivité et de nuance ce qui a permis de créer un score composite.
Phase 2 : Enquête en ligne auprès de psychiatres et résidents en psychiatrie
La seconde phase de l’étude a impliqué des psychiatres et internes (résidents) en psychiatrie travaillant dans diverses institutions aux Pays-Bas, en Allemagne et aux États-Unis. Ils ont été répartis de manière aléatoire en deux groupes : un groupe utilisant ChatGPT et un autre groupe utilisant une source d’information différente de leur choix (à l’exception des chatbots basé sur l’IA). Ces groupes devaient répondre à 10 questions similaires à celles de la première phase et ils ont été évaluées en aveugle par deux évaluateurs sur 3 dimensions : l’exactitude, l’exhaustivité et la nuance, avec une moyenne permettant de calculer un score composite noté de 0 à 10.
Concernant la première phase de l’étude, ChatGPT a obtenu un score composite de 8,0.
Dans la deuxième phase de l’étude, les participants utilisant ChatGPT avaient un score composite moyens de 7,6 et ceux qui n’utilisaient pas ChatGPT de 6,7. Par ailleurs les utilisateurs de ChatGPT étaient également en moyenne presque 20% plus rapides pour répondre au questionnaire que les utilisateurs d’autres sources…

Conclusion
ChatGPT se distingue donc en offrant des réponses précises, exhaustives et nuancées à une multitude de questions cliniques en psychiatrie avec une excellente performance. Les utilisateurs de ChatGPT ont démontré également de meilleures performances que ceux qui ne l’utilisaient pas, ce qui souligne son potentiel en tant qu’outil permettant “d’augmenter” les capacités des médecins.
Cependant, même si cette étude montre des résultats intéressants, elle comporte plusieurs limites notables. D’abord, l’échantillonnage semble limité géographiquement et culturellement, ne prenant en compte que des pays occidentaux, ce qui peut influencer la généralisabilité des résultats. Ensuite, la méthodologie de la deuxième phase, impliquant l’utilisation de ChatGPT par rapport à d’autres sources d’information, manque de précision sur les critères de choix et l’homogénéité de ces autres sources, ce qui pourrait biaiser les comparaisons.
Enfin, et c’est le point le plus important, une évaluation des performances de ChatGPT sur des questions clinique n’a strictement rien à voir avec une utilisation de ChatGPT lors d’un entretien avec un “vrai” patient : c’est la même différence qu’entre un contrôle sur table et une mise en pratique. Or ce qui nous intéresse vraiment c’est de savoir si ChatGPT peut nous aider dans la pratiquer courante réelle… mais pour savoir ça, d’autres études sont nécessaires !