Psychopharmacologie périnatale : comment prescrire les psychotropes chez les femmes enceintes ?

Le bien être psychologique et plus globalement la santé mentale en général est une priorité pendant la période périnatale, notamment pendant la grossesse (car on sait que cela peut avoir un impact sur le développement du fœtus) et après l’accouchement, dans un moment ou les liens se continuent de se tisser entre la mère et son bébé.

L’émergence de la psychopharmacologie périnatale comme véritable sur-spécialisation permet de répondre en partie à cet enjeux car la gestion des troubles psychiatriques durant cette période charnière est un véritable challenge pour les professionnels de la périnatalité, étant donné les nombreux bouleversements qui surviennent et notamment les risques inhérent à cette période : risques de sous ou de surdosage lié aux modifications du volume de distribution, risques liés au passage des molécules à travers la barrière placentaire, risque de sous-traitement par peur des effets secondaires des médicaments psychotropes sur la mère et le bébé, etc.

C’est dans ce contexte que les équipes de la Pitié-Salpêtrière, de Saint-Antoine et du Centre de Ressources et d’Expertise en PsychoPharmacologie (CREPP) composées de spécialistes en psychopharmacologie et psychiatrie périnatale (les docteurs Hugo Bottemanne, Lucie Joly, Hervé Javelot ainsi que les professeurs Florian Ferreri et Philippe Fossati) ont publié récemment dans la revue l’Encéphale (1ère revue en psychiatrie en langue française, Rang D, IF 2.787) un véritable guide pratique de psychopharmacologie périnatale à l’attention des professionnels de la périnatalité, basé sur les données scientifiques actuelles et les recommandations nationales et internationales.

Après avoir rappelé l’importance des enjeux (le suicide maternel est la première cause de mortalité maternelle à partir du 43e jour du postpartum, et la deuxième cause du 1er au 43e jour du postpartum, les troubles psychiatriques périnataux modifient significativement l’activité des principaux axes endocriniens impliqués dans la grossesse avec notamment un effet délétère d’un cortisol majoré qui peut entrainer prématurité, retard de croissance intra-utérin, troubles des interactions précoces, retards de développement moteur et cognitif, etc.) les auteurs émettent des recommandations générales de bonne pratique, avec notamment une évaluation fine de la balance bénéfice-risque en fonction des risques psychiatriques liés à la pathologie et des risques liés aux traitements, et ils mettent en avant 3 éléments :

1. L’importance de la décision partagée avec la nécessité d’impliquer la patiente
2. La systématisation des entretiens pré-thérapeutiques avant l’administration de psychotrope
3. La mise en place de consultation préconceptionnelle ou prénatale précoce en cas de risque

Par ailleurs ils soulignent également la nécessaire modulation de la dose de médicament pendant la grossesse, avec notamment le fait qu’il soit régulièrement nécessaire d’augmenter la dose, ce qui est contre-intuitif puisqu’on imagine facilement vouloir plutôt limiter l’exposition, mais qui s’explique car les modifications physiologiques de la grossesse entrainent une baisse des taux plasmatiques de médicament et donc un risque d’inefficacité.

Adaptation du traitement pour toutes les grossesses
Privilégier la monothérapie à posologie minimale efficace
Associer la patiente et le conjoint à la décision
Adapter la posologie (fin de grossesse, Postpartum)
Doser les traitements lorsque c’est possible
Ne pas arrêter brutalement le traitement en cas de découverte de grossesse
Faire le lien avec l’obstétricien
Poursuivre un suivi psychiatrique : proposer des consultations régulières
Assurer une prise en charge pluridisciplinaire
Choix du traitement en prenant en compte :
– Réponse antérieure au traitement
– Souhait d’allaiter
– Terme de la grossesse
– Données de la littérature sur l’innocuité
– Risque de symptômes en néonatal (sevrage, demie vie)
Les 10 grands principes de prise en charge, adapté de Bottemanne H, Joly L, Javelot H, Ferreri F, Fossati P. Guide de prescription psychiatrique pendant la grossesse, le postpartum et l’allaitement [A guide to psychiatric prescribing in pregnancy, postpartum and breastfeeding]. Encephale. 2023 Apr 6:S0013-7006(22)00228-7. French. doi: 10.1016/j.encep.2022.08.017. Epub ahead of print. PMID: 37031069.

Enfin, ils proposent un classement des différentes molécules en fonction de leur classe thérapeutique, ce qui permet de mettre en avant les profils des molécules qui ont la meilleure balance bénéfice-risque.

Plusieurs molécules se démarquent ainsi par une possibilité d’utilisation à tous les stades de la grossesse et de l’allaitement (ex : PAROXETINE, SERTRALINE, AMITRIPTYLINE, CLOMIPRAMINE, OXAZEPAM, ZOLPIDEM, ZOPICLONE, OLANZAPINE, QUETIAPINE, RISPERIDONE) tandis que d’autres sont possible pendant toute la grossesse mais pas pendant l’allaitement (ex : SEROPRAM, SEROPLEX, FLUOXETINE, MIRTAZAPINE, ALIMEMAZINE, HYDROXYZINE, ARIPIPRAZOLE, LAMOTRIGINE), et enfin certaines sont recommandées pendant l’allaitement mais pas pendant la grossesse (ex : CHLORPROMAZINE, HALOPERIDOL). Par ailleurs on remarquera que pour de nombreuses molécules il n’y a pas de contre-indication mais on évite de les proposer par manque de recul et de données.

En conclusion : cet article très intéressant nécessite d’être largement diffusé à tous les professionnels qui s’occupent de près ou de loin des traitements des femmes enceintes. Il permet de bien comprendre les problématiques sur le sujet et d’avoir un guide de prescription efficace.

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