La kétamine aussi efficace que la sismothérapie ?

Le New England Journal of Medicine (NEJM) est considéré comme l’une des plus prestigieuses revue de médecine, et c’est même celle qui le plus haut facteur d’impact actuellement (IF à 176, rang A+).

Aussi quand un essai clinique est publié dans cette revue il est important de s’y intéresser, d’une part car on sait qu’il est théoriquement suffisamment solide sur le plan méthodologique pour être passé par les différentes strates de relectures de la revue, et d’autre part car une telle publication aura sans doute un impact significatif sur la pratique clinique dans les mois ou les années à venir.

L’équipe du Pr. Amit Anand (Harvard) y a publié en mai 2023 un superbe essais clinique randomisé multicentrique (5 sites américains) afin de comparer l’efficacité de la sismothérapie (ECT) et de la kétamine IV (KIV). Environ 170 patients ont été traités par ECT et 195 par KIV.

Pour rappel, la sismothérapie (aussi appelé électroconvulsivothérapie ou ECT) est une technique de neurostimulation non invasive mais convulsive qui consiste à administrer, sous anesthésie générale, une stimulation électrique au niveau du cortex cérébrale afin d’entrainer une convulsion. Cette technique, qui a malheureusement un mauvaise image dans l’opinion publique, est en réalité bien tolérée et très efficace si utilisée dans ses bonnes indications (dépression résistante, catatonie, etc.).

“La sismothérapie fait des étincelles contre la dépression sévère” par  Nathalie Szapiro-Manoukian, publié le 27/11/2015 dans https://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/11/27/24353-sismotherapie-fait-etincelles-contre-depression-severe

La kétamine IV (KIV) quant à elle est un traitement plus récent (utilisé surtout depuis une dizaine d’année en psychiatrie mais connue depuis très longtemps en algologie et en anesthésie) qui consiste à administrer en intraveineuse une molécule, la kétamine, qui a des effets anti-NMDA. Cette molécule à montré une efficacité dans le traitement de la dépression résistante et de nombreux essais sont réalisés dans d’autres indications.

Pitchaya Pingpithayakul/ Shutterstock
https://hightimes.com/health/ketamine-iv-infusions-made-me-myself-again-heres-everything-you-need-know/

METHODE

Pour comparer ces deux traitements, Anand et ses collègues ont recruté des adultes de 21 à 75 ans orientés par leurs médecins pour ECT : ils proposaient alors aux patients de rentrer dans l’essai et d’être randomisé (1 chance sur 2) soit dans le groupe ECT soit dans le groupe KIV. Pour être inclus, les participants devait correspondre aux critères de diagnostic du DSM-5 pour un épisode dépressif caractérisé sans caractéristiques psychotiques d’intensité modéré à sévère (score supérieur à 20 sur l’échelle de dépression de Montgomery–Åsberg MADRS), et ils devaient être considérés comme “résistants” aux traitements, c’est à dire n’avoir pas répondu à au moins deux essais adéquats de traitement antidépresseur.

Un total de 403 patients de cinq sites cliniques à travers le pays ont été répartis aléatoirement pour bénéficier d’un traitement de trois semaines :

  • Soit avec des ECT (ultra bref unilatéral droit) trois fois par semaine
  • Soit avec de la kétamine (0,5 mg par kilogramme de poids corporel sur 40 minutes) deux fois par semaine.

Pour les deux traitements, les cliniciens pouvaient utiliser leur jugement pour ajuster le placement de l’électrode ECT/la dose de kétamine ou arrêter le traitement plus tôt. Les participants étaient autorisés à poursuivre les médicaments précédemment prescrits tout au long de l’essai (les ECT et la KIV étaient donc en add-on).

“Cet essai a été conçu pour être pragmatique et imiter ce qui se passe réellement dans les cliniques. L’objectif pour les médecins était d’essayer d’améliorer les patients comme ils le feraient normalement”

Pr. Amit Anand

Le critère de jugement principal était la “réponse” au traitement dans sa définition classique (diminution d’au moins 50% sur une échelle en auto-questionnaire, la QIDS-SR).

RESULTAT

Après trois semaines, 55,4% des participants du groupe KIV et 41,2% du groupe ECT étaient considérés comme ayant une réponse au traitement (50% d’amélioration sur la QIDS-SR) avec une corrélation sur l’échelle MADRS (administrée par le médecin) puisque 50,8% du groupe KIV et 41,1% du groupe ECT étaient considérés en réponse sur cette échelle (ce qui montre une corrélation totale entre la QIDS et la MADRS pour les patients ECT et une légère sur-estimation de la réponse sur l’échelle QIDS dans le groupe KIV). Concernant la rémission (disparition complète ou quasi-complète des symptômes), la kétamine a également été associée à des taux légèrement plus élevés sur le QIDS-SR et le MADRS.

Les participants ayant reçu les ECT ont signalé de plus grands troubles de la mémoire à la fin du traitement par rapport à ceux qui ont reçu de la kétamine, bien qu’à un mois de suivi, il y avait peu de différence entre les deux groupes. Parmi les autres effets secondaires, les participants du groupe ECT ont signalé plus d’effets indésirables musculosquelettiques, tandis que les participants du groupe kétamine ont signalé plus de symptômes dissociatifs, autrement dit, dans chaque groupe les effets indésirables communs et habituels ont été retrouvés.

CONCLUSIONS ET LIMITES

Cet article montre donc une légère supériorité de la KIV sur les ECT (50-55% versus 41%) avec une meilleure tolérance mnésique initiale (ce qui est logique) et moins de troubles musculosquelettiques. C’est une étude importante car jusqu’à présent les ECT étaient considérés comme LE traitement le plus efficace des troubles dépressifs résistants, cependant plusieurs limites viennent clairement pondérer cette affirmation :

D’abord, cette étude excluait de facto les épisodes dépressifs avec caractéristiques psychotiques. C’est assez logique car la KIV étant pro-dissociative, il peut être malaisé de prendre le risque d’induire ce type de symptôme chez un patient présentant des symptômes délirant, mais cela réduit de manière importante la sévérité des patients inclus et surtout il est reconnu que les ECT sont très efficaces en cas de caractéristiques psychotiques.

Ensuite car la durée du traitement semble légèrement déconnectée de la pratique réelle. En effet, une cure d’ECT à une durée variable (entre 4 et 20 séances), or avec 3 ECT par semaine sur 3 semaines, ce qui a été testé ce n’est pas une “cure d’ECT” mais plutôt “9 séances d’ECT”, et cela change tout. Dans la pratique, il arrive très régulièrement d’avoir une réponse aux ECT à la 12ème ou parfois même 15ème séance, autrement dit si la durée de l’essai avait été plus longue (sur 4 ou 6 semaines par exemple) il est tout à fait possible que plus de patient soit en réponse dans le groupe ECT.

En pratique cette étude reste néanmoins intéressante car elle met en avant la bonne tolérance de ces deux techniques interventionnelles en psychiatrie en montrant que presque 1 patient sur 2 peut être considéré comme répondeur en 3 semaines de traitement.

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