Plusieurs média grand public ont récemment décrit l’histoire d’April Burrell, une américaine, qui a passé plus de 20 ans hospitalisée dans un service de psychiatrie car on l’a pensait atteinte d’une forme particulière de schizophrénie (la schizophrénie catatonique) alors qu’il s’agissait en réalité d’une maladie auto-immune (le lupus).

On aurait pu croire que les médias allaient saisir l’occasion, comme c’est régulièrement le cas, pour “taper” une fois de plus sur la psychiatrie (par exemple en soulignant qu’il s’agissait d’une erreur de diagnostic), mais au lieu de ça ils ont focalisé sur les liens entre symptômes psychiatriques et maladie organique, et nous les félicitons d’avoir choisi ce point de vue constructif.
Pour en savoir plus sur l’incroyable histoire d’April Burrell, il convient de lire l’article du Washington Post intitulé “A catatonic woman awakened after 20 years. Her story may change psychiatry” publié le 1er juin 2023. On y apprend qu’à l’âge de 21 ans, la jeune April, une femme sans antécédents notable, bien insérée, étudiante à l’Université du Maryland, a été diagnostiqué comme souffrant d’une schizophrénie devant l’apparition d’hallucinations auditives et visuelles quasi permanentes. A l’époque, son état avait déjà interpellé un jeune médecin du nom de Sander Markx qui était passé en stage dans le service ou April avait été hospitalisée. Plus de 20 ans plus tard, Sander, devenu un psychiatre réputé spécialisé en psychiatrie de précision (un courant de la psychiatrie qui vise à proposer des traitements plus personnalisés, basé sur la pharmacogénétique, les profils immunologiques, la recherche de biomarqueurs, etc.) a de nouveau entendu parler d’April lorsqu’un de ses étudiant est passé en stage dans le service ou April était encore hospitalisée pour catatonie.
Catatonie ?
La catatonie est un état comportemental anormal caractérisée par une immobilité, une activité motrice inhabituelle, une résistance extrême ou l’absence de réponse à l’environnement. Les symptômes de la catatonie peuvent varier considérablement, mais ils peuvent inclure :
– Stupor (absence de réactivité et de mouvement)
– Catalepsie (une posture étrange qui est maintenue)
– Waxy flexibility (le corps peut être déplacé dans une position qui est maintenue)
– Mutisme (absence de parole)
– Négativisme (résistance à toutes les tentatives de mouvement ou instructions)
– Posturing (adoption de postures bizarres, souvent de manière persistante)
– Mannerism (mouvements étranges et complexes, souvent répétitifs)
– Stereotypy (mouvements répétitifs sans but)
– Agitation (mouvements sans but et incontrolables)
– Grimacing (expressions faciales exagérées ou bizarres)

Il existe deux formes principales de catatonie : la catatonie active et la catatonie inactive.
- La catatonie active est caractérisée par des mouvements excessifs ou bizarres. Par exemple, une personne peut adopter des postures étranges ou faire des mouvements répétitifs sans but (stéréotypies).
- La catatonie inactive, en revanche, est caractérisée par un manque de mouvement ou de réactivité. Par exemple, une personne peut rester immobile pendant de longues périodes (stupor), maintenir une posture étrange pendant une longue période (catalepsie), ou ne pas répondre à des instructions ou à des tentatives de mouvement (négativisme).
Pour les cliniciens qui souhaitent se former à l’évaluation de ces symptômes (qui peuvent parfois être difficiles à trouver car toutes les formes ne sont pas aussi évidentes que la cataplexie) il est possible de regarder la playlist sur la cotation de la principale échelle de catatonie, la Bush-Francis Catatonia Rating Scale, accessible ici.
Ce syndrome est souvent associé à des troubles psychiatriques tels que la schizophrénie, dépression catatonique (l’une des formes les plus sévère de dépression) mais elle peut également être causé par des troubles neurologiques ou d’autres maladies médicales.
Revenons à April
Par une coïncidence extraordinaire, le stagiaire du Dr. Sander, Anthony Zoghbi, passe par le service ou April est hospitalisée sans le savoir. Il y observe une patiente dans un état de catatonie qui l’interpelle. Il s’intéresse à son dossier et en parle avec son le Dr. Sander qui ressent alors un étrange sentiment de déjà-vu. Il avait déjà vu d’autre catatonique, mais une catatonie évoluant depuis 20 ans, dans l’hôpital ou il était passé 20 ans auparavant, forcément cela lui a rappelé des souvenirs, d’autant plus que cette patiente l’avait marqué au point qu’il se souvenait de son prénom 20 ans après. En discutant avec son stagiaire il acquière la conviction qu’il s’agit bel et bien de l’April qu’il avait lui même rencontré deux décennies auparavant. Il appris ainsi que rien n’avait changé pour elle : au fil des années de nombreux traitements avaient été essayés (antidépresseurs, antipsychotiques, stabilisateurs de l’humeur, électroconvulsivothérapie) tous sans succès…
Bien décidé à trouver une solution pour cette patiente, le Dr. Sander a réussi à contacter la famille d’April pour leur demander l’autorisation de réaliser des examens complémentaires plus poussés. A l’aide de ses nombreux correspondants (psychiatres, mais également neurologues, rhumatologues, immunologistes, etc.) il a poussé le bilan en réalisant un bilan auto-immun complet et ils ont trouvé que le système immunitaire d’April produisait d’importantes quantités d’auto-anticorps (c’est à dire des anticorps qui attaquaient son propre corps). L’imagerie cérébrale à pu également montrer des lésions temporales dues à l’inflammation produite par ces anticorps. Le Dr. Sander et son équipe ont donc logiquement émis l’hypothèse que ces anticorps pouvaient avoir modifié les récepteurs qui se lient au glutamate, un neurotransmetteur important, perturbant ainsi la façon dont les neurones peuvent envoyer des signaux les uns aux autres, et dont on sait qu’il est impliqué à la fois dans la schizophrénie (hypothèse glutamatergique de la schizophrénie) et également dans certaines pathologies pouvant “mimer” les symptômes schizophréniques (tel que l’encéphalite à anti-NMDA par exemple).
Ainsi, même si April présentait tous les signes cliniques d’une schizophrénie catatonique, il n’était pas impossible que la cause sous-jacente soit un lupus, une maladie auto-immune complexe dans laquelle le système immunitaire se retourne contre son propre corps, produisant de nombreux anticorps qui attaquent la peau, les articulations, les reins ou d’autres organes. Dans le cas d’April c’était donc le cerveau (aussi appelé neurolupus) avec même un tropisme exclusivement cérébral puisqu’elle n’avais aucun autre signe de la maladie, pire, elle n’avait même pas de signes strictement neurologiques, mais uniquement des symptômes psychiatriques, constituant donc une entité particulière que l’on pourrait appeler un “lupus psychiatrique” (ou neuropsychiatrique).
Grace au traitement du lupus à l’aide d’une immunothérapie “intensive” (corticothérapie intraveineuse, immunosuppresseur type cyclophosphamide, rituximab, etc.) son état s’est rapidement amélioré (presque immédiatement). L’article du Washington Post montre l’évolution du test de l’horloge (ou l’on demande au patient de dessiner une horloge) et l’on voit que l’on passe d’un gribouillage à une horloge presque parfaite en à peine 3 mois.
Quelques mois plus tard, après 20 ans passés hospitalisée, April à pu sortir de l’hôpital et retrouver sa vie et sa famille.
Est-ce une simple histoire de chasse ?
En médecine on appelle une “histoire de chasse” un cas clinique exceptionnel. Quelque chose qui n’arrive presque jamais. En réalité, tous les médecins ont des histoires comme ça, des anecdotes sur des situations incroyables. Pourtant, ni l’équipe du Dr. Sander ni nous, ne pensons que ce soit le cas. Evidemment ces cas sont rares, probablement même très rares, mais pas exceptionnels. En réalité il n’est pas impossible que l’une des raisons de cette rareté soit tout simplement l’absence d’exploration.
Heureusement la situation est en train de changer. En France, plusieurs praticiens militent depuis des années pour que les causes organopsychiatriques soient évoquées et explorées en cas de trouble résistants. L’équipe de Saint-Antoine* (Paris) a écrit plusieurs articles avec des recommandations pour que des bilans puissent être réaliser dans différentes situations afin de rechercher les causes de pseudo-résistances et d’atypicités.
Ainsi dans un article publié en 2019 dans La Presse Médicale (ici) et intitulé “Intrications organo-psychiatriques : le concept de troubles psychiatriques complexes, quels examens complémentaires ?” nous rappelons l’intérêt de réaliser plusieurs types d’explorations notamment en cas d’atypicités :

Parmi ces explorations, l’enjeu est de recherche les principales causes de maladies organopsychiatriques (parfois appelés aussi “maladies organiques à expression psychiatriques”) et notamment :
– Les maladies infectieuses (encéphalites, Lyme, Whipple, etc.)
– Les maladies auto-immunes et inflammatoires (Lupus, anti-NMDA, SEP, SAMA, etc.à
– Les maladies neuro-dégénératives (DCL, DFT, MA, etc.)
– Les épilepsies (notamment temporales)
– Les maladies métaboliques ou de surcharge (Niemann Pick, déficit en B9, Wilson, etc.)
– Les causes endocriniennes (thyroïdiennes, surrénaliennes, etc.)
– Les maladies enzymatiques (homocystéinémie, cycle de l’urée, etc.)
– Les causes toxiques.
En réalisant des bilans systématiques en cas d’atypicités, il serait sans doute possible de limiter le nombre de cas comme April, même si, notamment dans le cas des maladies auto-immunes, les bilans peuvent parfois être négatifs (d’ou la nécessité de parfois les renouveler).
Pour le grand public plusieurs articles ont également été écrit afin de sensibiliser le public sur le sujet des troubles organiques à expression psychiatriques :

Conclusion
En définitive l’histoire d’April est l’occasion de mettre en avant la question de l’organopsychiatrie, ce pan de la psychiatrie qui s’intéresse aux troubles organiques qui entrainent des symptômes psychiatriques. Ces troubles, potentiellement sous diagnostiqués, sont toutefois très rares. Des bilans ciblés permettent cependant d’éviter de passer à côté et sont maintenant réalisés en routine dans tous les Centre Hospitalo-Universitaires et dans de nombreux services de psychiatrie.
Pour en savoir plus sur la médecine de précision :
AB.
* A laquelle l’auteur de cet article est affilié.
Very interesting.Thank you