Peut on prédire la réponse au traitement par rTMS à l’aide du Seuil Moteur ?

La rTMS est actuellement considérée comme un traitement de 1ère ligne dans les dépressions résistantes (c’est-à-dire les dépressions qui ne répondent pas à 2 lignes de traitement antidépresseurs bien conduites, pour une durée suffisante, à une dose suffisante, en absence de cause somatique de dépression, et idéalement en ayant réalisé un dosage plasmatique des traitements).

En général les études retrouvent qu’au terme d’une cure de rTMS, environ 30% des patients seront en « rémission » (presque plus aucun symptômes), 30% des patients seront en « réponse » (c’est-à-dire que leur symptômes auront réduit d’au moins 50%) et 40% n’auront malheureusement pas répondu au traitement. Ces chiffres, qui peuvent sembler « bas » ne sont en réalité pas mauvais, puisqu’on sait que les patients souffrant de dépression résistante n’ont en général qu’entre 20 et 30% de chance de s’améliorer avec une nouvelle ligne de traitement (que ce soit en add-on ou en switch). Donc 60% de chance de s’améliorer, comme c’est le cas avec la rTMS, est une bonne probabilité.

Mais l’enjeu est d’aller encore plus loin, en identifiant les marqueurs prédictifs de réponse au traitement. Cette recherche de marqueur est importante quelle que soit le stade de la maladie et le traitement proposé : même en 1ère ligne l’idéal serait de savoir quel patient va répondre à quel antidépresseur. De nombreuses études se penchent donc sur le sujet : en biologie avec la recherche de marqueurs sanguins par exemple, qui permettraient de savoir à l’avance quel traitement donner (les algorithmes basés sur la pharmacogénétiques commencent à s’en approcher), mais également en neuroimagerie (avec plusieurs études en IRMf ou en scintigraphie qui permettent de différencier des biotypes), ou encore en electrophysiologie avec des algorithmes d’IA appliqués à l’EEG.

Concernant la rTMS, de nombreux facteurs de variabilité sont à prendre en compte pour expliquer qu’un patient réponde ou non : la variation individuelle de l’anatomie du cerveau, la concomitance de certain traitement, ou encore la nature des symptômes dépressifs, l’âge du patient, la durée de l’épisode, etc. peuvent influencer cette réponse.

Classiquement les facteurs de « bonne réponse » étaient surtout clinique même si quelques études prometteuses mettent en avant des données biologiques (et même génétiques), aussi il était logique de s’intéresser aux différents paramètres de stimulation pour savoir s’ils pouvaient avoir une incidence sur la réponse, et notamment l’intensité de stimulation.

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, il est nécessaire de savoir que l’intensité de stimulation est un paramètre éminemment personnalisé lors du traitement puisque l’on stimule à une intensité qui dépend de l’excitabilité corticale du patient. La majorité des protocoles en effet proposent une stimulation à 100, 110 ou 120% du « Seuil Moteur » or ce seuil dépend de chaque patient puisqu’il correspond à l’intensité de stimulation suffisante pour déclencher une réaction motrice lors de la stimulation du cortex moteur (et plus précisément de la zone de l’abducteur du pouce).

Tous les patients ont une forme de crane différente (ce qui nécessite un ciblage personnalisé) et une excitabilité corticale différente (ce qui nécessite d’étudier le seuil moteur)

Ainsi certains patients auront un SM à 40% de l’intensité maximale de stimulation de la machine, alors que d’autre l’auront à 30% et d’autre à 60%. Plus l’intensité de stimulation doit être élevée (ex : 60%) moins le cerveau est excitable (puisqu’il nécessite une forte stimulation pour déclencher l’influx neuronal) et inversement (plus l’intensité de stimulation est faible pour déclencher l’influx, plus le cerveau est excitable).  

Ainsi, l’adaptabilité du traitement et sa personnalisation est un élément clé, d’où la nécessité de réévaluer le seuil moteur à intervalle régulier pendant la cure (au moins une fois par semaine) car on sait que ce seuil peut varier au cours du temps, et même qu’il peut être modifié par les stimulations répétées de la rTMS.

Pour évaluer si l’évolution du seuil moteur peut avoir un impact sur la réponse au traitement, nous avons décidé de réaliser une étude rétrospective sur les dossiers anonymisés de nos patients, conformément à la méthodologie MR004 de la CNIL et nous avons publié les résultats dans la revue Brain Sciences (IF 3.9, rang D), disponible ici.

Nous avons étudié tous les dossiers entre septembre 2022 et mai 2023, puis nous avons extrait ceux des patients qui avaient été traités pour dépression résistante (cela constitut l’essentiel de notre patientèle), qui avaient eut une cure complète de rTMS au cabinet, qui avaient bien eut leur 6 évaluations du seuil moteur (une par semaine) et qui avaient correctement rempli leurs questionnaires (le questionnaire d’admission, le questionnaire de fin de cure, et les échelles de dépression hebdomadaires). L’objectif était à la fois d’étudier l’efficacité des cures réalisées et de voir si l’évolution du seuil moteur pouvait être lié d’une manière ou d’une autre à la réponse clinique. Il s’agit d’une étude sur dossier, mais qui est donc assez proche d’une étude en vie réelle même si ce type d’étude à de nombreuses limites (voir infra). 30 dossiers complets ont pu être inclus.

Au sein du cabinet, plusieurs type de protocoles sont utilisés : la haute fréquence 10 Hz sur le CPFDL (protocole classique), le protocole en Theta Burst bilatéral utilisé par Li et al (1800 pulse iTBS à gauche et 1800 pulses cTBS à droite), et un protocole en basse fréquence 1 Hz à droite. Le choix du protocole dépend de l’expérience du praticien, qui se base en général sur des caractéristiques cliniques (il va favoriser la basse fréquence si anxiété prédominante, le bilatéral en cas de symptomatologie plus sévère, et la haute fréquence le reste du temps).

Concernant l’efficacité du traitement, elle a été évaluée en utilisant le score PHQ9 avant et après le traitement. Les résultats montrent une réduction significative dans les scores PHQ9 pour les différents groupes de traitement entre avant et après :

– Groupe Theta Burst : -8.88 points (allant de -21 à 0)
– Groupe Haute Fréquence (10 Hz) : -9.00 points (allant de -18 à -1)
– Groupe Basse Fréquence (1 Hz) : -4.66 points (allant de -10 à +2)

L’amélioration moyenne, tous groupes confondus, des symptômes dépressifs était de 47% avec une taille d’effet de 1,60. En examinant les sous-groupes, les tailles d’effet varient légèrement en fonction de la sévérité de la dépression, avec 1,77 dans le groupe modéré, 1,97 dans le groupe modérément sévère, et 1,24 dans le groupe sévère. Il est à noter qu’il n’y a eu aucun changement significatif dans le poids ou l’IMC pendant le traitement (plutôt une tendance baissière) ce qui signifie que le traitement n’a aucun effet néfaste sur le plan pondéral (ce qui est connu et logique). En ce qui concerne les habitudes de vie, les résultats montrent une réduction non significative de la consommation d’alcool et de caféine, et une stabilité dans la consommation de tabac, ce qui nous a surpris car la rTMS a des effets bénéfiques pour réduire l’addiction nicotinique (avec même un agrément de la FDA dans cette indication aux USA).

Lorsqu’on étudie la réponse et la rémission : 56,7% des patients sont considérés comme répondant au traitement (amélioration de plus de 50% du score PHQ9), dont 29,3% en rémission (définie par un score inférieur à 5 sur le PHQ9 à la sixième semaine), et 20% sont en « réponse partielle » (définie par une amélioration supérieure à 25% mais inférieure à 50%). Cela signifie donc que 20% des patients n’ont pas eut d’amélioration. Ces résultats sont cohérent avec ceux retrouvés dans la plupart des études type essais contrôlé randomisé.

Concernant le seuil moteur, il a effectivement varié au cours du traitement. Une différence significative entre le seuil moteur à la première semaine et à la sixième semaine n’a été observée que dans le groupe de rémission (avec une augmentation du seuil témoignant probablement d’une diminution de l’excitabilité corticale). Par ailleurs, le groupe de patient non répondeur se singularise par une tendance au contraire à la baisse du seuil moteur (témoignant donc potentiellement d’une augmentation de l’excitabilité corticale) et par un « creux » aux alentours de la 4ème semaine.

Bourla et al. 2023 Variability in Motor Threshold during Transcranial Magnetic Stimulation Treatment for Depression: Neurophysiological Implications, Figure 3. MT variability over time. https://www.mdpi.com/2076-3425/13/9/1246

Cette étude présente donc 2 intérêts : d’abord elle permet d’évaluer l’efficacité de la rTMS dans un cabinet de ville. La très grande majorité des dossiers de patients souffrant de dépression résistante avait pu être inclus. Par ailleurs le même binôme médecin-opérateur a réalisé les évaluations du seuil moteur, permettant donc de limité la variabilité inter-opérateur. Ensuite elle permet de mettre en avant l’intérêt que pourrait présenter l’évaluation du seuil moteur à intervalle régulier, permettant même de différencier deux groupes : ceux qui sont en rémissions ont un SM significativement plus élevé à la fin de la cure, alors que ceux qui ne vont pas répondre ont une baisse de leur SM avec même une cassure vers la 4ème semaine.

Cependant cette étude présente une importante limite : s’agissant d’une étude sur dossier, il s’agit d’une étude de faible puissance. Dans ce type d’étude, cette faible puissance est en général compensée par un nombre très important de sujet, ce qui n’est pas le cas ici, cela crée donc un doute sur la validité de l’hypothèse sur le seuil moteur (en revanche cela n’a pas d’impact sur les mesures d’efficacités puisqu’elles ne sont que descriptives).

En conclusion, cette étude rétrospective offre un aperçu précieux de l’efficacité du traitement rTMS chez les patients dépressifs résistants suivi en ville et elle souligne l’importance de surveiller le seuil moteur tout au long du traitement. Espérons que cette étude n’est qu’un premier pas, et que d’autres études viendront confirmer (ou infirmer) l’intérêt prédictif de ce monitorage.

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