Les troubles bipolaires sont des maladies caractérisées par une alternance d’épisodes dépressifs (phase “down”) et d’épisodes hypomanes ou maniaques (phases “up”). Dans un certain nombre de cas, lorsque l’intensité de l’épisode est trop important il est nécessaire de recourir à une hospitalisation. Le plus souvent c’est le patient qui est demandeur, et dans de rares cas (notamment de manie avec caractéristiques psychotiques) il faut recourir à une contrainte, mais dans tous les cas, l’hospitalisation est un moment qui peut être vécu comme difficile.

Pourtant, de nombreux traitements permettent de stabiliser la maladie, et c’est notamment le cas du Lithium, considéré comme l’un des premier régulateur d’humeur. Le grand public et les médias associent souvent cette molécule à la bipolarité, mais ce que les gens savent moins c’est que le Lithium est très régulièrement utilisé également dans la dépression unipolaire (c’est-à-dire la dépression non-bipolaire) : c’est une stratégie très classique dans les dépressions qui résistent aux antidépresseurs. Cette méconnaissance est problématique car régulièrement les patients souffrant de dépression unipolaire, lorsqu’ils se voient proposer du lithium, pensent qu’on veut les traiter pour une bipolarité, ce qui renforce leur réticence. Mais ce n’est absolument pas le cas. Tous les algorithmes de traitement de la dépression unipolaire incluent le lithium assez rapidement dans l’escalade thérapeutique.
Lutter contre la réticence des patients à prendre cette molécule est une tâche compliquée : il existe de nombreux préjugés sur cette molécule, parfois même véhiculés par des professionnels de santé (combien de fois n’a-t-on pas entendu à la pharmacie le préparateur* s’exclamer “ah mais c’est très fort ça, vous êtes sur que vous en avez besoin ?”), d’autant que cette molécule présente effectivement une balance bénéfice-risque qu’il est important de bien évaluer car, c’est vrai, elle n’est pas indemne d’effets indésirables.
Mais son bénéfice est important. Majeur même pour certains patients qui ne répondent littéralement qu’à cette molécule. Je rapporte souvent aux patients cette anecdote concernant un patient qui avait passé 20 ans sous lithium et qui allait parfaitement bien, avant que son généraliste ne décide de lui arrêter en raison d’une fonction rénale se dégradant trop rapidement. Un an après l’arrêt du Lithium, alors que cela faisait 20 ans qu’il était euthymique, ce patient à fait une rechute très sévère, sur un mode mélancoliforme (avec idées délirantes de ruine). Aucune des thérapeutique employée (plusieurs lignes d’antidépresseurs, tous les autres régulateurs d’humeur connus, les agonistes dopaminergiques, la rTMS, la sismothérapie, etc.) n’a eut le moindre effet sur son état après plus d’une année complète d’hospitalisation. Finalement après une discussion avec les néphrologues, nous sommes tous arrivés à la même conclusion : “entre le rein et le cerveau… il n’y a pas photo, il faut sauver le cerveau”

C’est ainsi que nous lui avons represcrit cette fameuse molécule qui lui faisait prendre un risque rénal, dans l’espoir de le sauver de sa mélancolie. A peine 3 semaines après la reprise du Lithium, il était redevenu … euthymique. Plus aucun symptôme de dépression.
Ainsi lorsqu’une étude montre l’intérêt de cette molécule, il est important de la mettre de côté pour pouvoir en parler aux patients qui hésitent. C’est le cas notamment d’une récente étude, menée sur une période de deux ans à l’unité psychiatrique de l’hôpital universitaire Sant’Andrea de Rome, qui a examiné l’efficacité du Lithium dans la prévention de l’hospitalisation chez les patients souffrant de trouble bipolaire et de dépression. Cette étude a été publiée dans Journal of Affective Disorders (IF 6.6 Rang B) et est disponible ici
Eviter l’hospitalisation ?
Dans la dépression et dans la bipolarité, l’hospitalisation vient témoigner de la gravité de l’épisode, plus il y a eut d’hospitalisation dans la vie d’un patient, plus cela signifie que sa maladie est grave, or on sait que dans ces troubles plus on fait d’épisodes (et plus les épisodes sont sévères) plus le risque est grand d’en refaire. En effet, les épisodes sont neurotoxiques : ils agressent le cerveau et le fragilisent, rendant ainsi plus probable encore la survenue d’un épisode ultérieur. Un cercle vicieux en somme. Réussir à éviter une hospitalisation signifie que l’on a réussi à éviter un épisode sévère. C’est essentiel pour réduire la morbidité, la mortalité et les coûts socio-économiques associés à ces troubles.
Une comparaison avant/après le traitement par Lithium
L’étude a recruté 260 patients adultes, répartis entre 160 atteints de trouble bipolaire et 100 atteints de dépression et les patients ont été suivis pendant deux ans, avec des examens réguliers effectués par deux psychiatres. L’objectif était de voir le nombre d’hospitalisation sur une période de 12 mois avant le début du traitement au lithium et sur les 12 mois suivants pour comparer l’effet “avant/après”.
Les chercheurs ont également évalué plusieurs facteurs potentiels liés à l’hospitalisation, notamment la durée de la maladie non traitée, les traitements précédents, la consommation de substances, le statut suicidaire, la posologie du lithium et l’utilisation d’autres médicaments psychotropes.
Des résultats plus qu’encourageants
Avant de commencer le traitement au lithium, 40,4 % des patients avaient été hospitalisés au cours de l’année précédente. Après le début du traitement au Lithium, ce chiffre passait à 11,2%, marquant ainsi une réduction significative de 3,62 fois du taux d’hospitalisation (p < 0,0001).
Cette réduction spectaculaire du besoin d’hospitalisation était observée chez les patients atteints de trouble bipolaire, mais également chez ceux souffrant de dépression unipolaire. En outre, d’autres mesures de la morbidité se sont également améliorées pendant le traitement au lithium.
Facteurs associés à l’hospitalisation
L’étude a identifié plusieurs facteurs associés de manière indépendante à l’hospitalisation pendant le traitement au lithium. Il s’agit notamment de la prise d’un antipsychotique en association avec le lithium (ce qui témoigne probablement de patients avec une maladie plus sévère puisque nécessitant une bithérapie thymorégulatrice), de tentatives de suicide pendant le traitement, de la toxicomanie et d’une hospitalisation psychiatrique au cours de l’année précédant le début du traitement au lithium. Cependant, le diagnostic en lui-même n’était pas un facteur déterminant de l’hospitalisation.
Limites
Le faible nombre de participants (260) et le caractère rétrospectif des antécédents d’hospitalisation (la recherche d’épisode dans l’année précédente était déclaratif uniquement) peut avoir un impact sur la généralisation des résultats. Par ailleurs, les évaluateurs cliniques n’étaient pas en aveugle, ce qui pourrait influencer les résultats.
Conclusion
Cette étude naturaliste est clairement en faveur de l’intérêt du Lithium, à la fois dans la bipolarité et dans la dépression unipolaire, puisqu’elle montre l’efficacité du traitement dans la prévention de l’hospitalisation.