La dépression résistante – acte 1

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Dans un article récemment publié dans la plus prestigieuse revue de Psychiatrie, World Psychiatry (IF 73.3, Rang A), une équipe internationale composée de certains des plus grands noms de la discipline revient sur la notion de trouble dépressif résistant TDR (« dépression résistante ») dans un article intitulé « Dépression résistante au traitement : définition, prévalence, détection, gestion et interventions expérimentales« .

Nous nous proposons d’en réaliser une synthèse commentée en 2 parties : la première sur la définition, le diagnostic et les facteurs de risque, et la seconde sur la prise en charge.

Définition, diagnostic et facteurs de risque

Les troubles dépressifs sont très répandus et ils sont associés à des coûts économiques considérables (nous rappelons que le poids des troubles psychiatriques dépasse celui des cancers et des maladies cardiovasculaires). Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ils sont même le principal facteur de perte de vie en bonne santé (et cela a augmenté encore plus depuis la pandémie de COVID-19).

Malgré l’efficacité des antidépresseurs classiques, des psychothérapies et des techniques de neurostimulation, la majorité des personnes souffrant de dépression caractérisée ne répondent pas de manière satisfaisante aux traitements de première intention (on estime que seuls 40% des patients répondent à une première ligne de traitement, 40% également en 2nd ligne, mais à partir de la 3ème ligne les interventions ne permettent la réponse que dans 20 à 30% des cas pour les interventions classiques, et un peu plus pour la neurostimulation ou les IMAO).

Lorsqu’un patient ne répond pas à plusieurs lignes de traitement, on parle de trouble dépressif résistant (TDR). Cependant il n’existe pas actuellement de définition consensuelle du TDR ayant une utilité prédictive : une multitude de définitions ont été proposées, qui diffèrent par leur cadre conceptuel, leurs critères opérationnels et leurs hypothèses de travail. Cette hétérogénéité des définitions a donné lieu à un large éventail d’estimations de la prévalence du TDR (et la proportion de patient avec TDR est plus élevée lorsque si on intègre des définitions multidimensionnelles, notamment si on prend en compte les PROMS) et certains auteurs pensent même que le TDR est une entité « à part » constituant presque une maladie en soit, différente des dépressions « simples ».

Le TDR a des conséquences graves pour la santé publique d’autant qu’on peut considérer qu’environ 100 millions de personnes dans le monde répondent à cette définition (sur 300 millions de patients souffrant de dépression) et que les couts associés au TDR représentent plus de 50% des couts liés à la dépression : ils ont besoins de soins plus intensifs que les autres patients souffrant de dépression, leur altération sociale est relativement plus importante, ils ont un plus grand besoin de prestations d’invalidité, souffrent plus souvent d’incapacité ou d’absentéisme et surtout leur taux de suicide est disproportionnellement plus élevé !

Par ailleurs les patients souffrant de TDR souffrent également plus d’autres maladies physiques et l’on émet l’hypothèse actuellement que c’est bien la dépression qui a fait le lit des maladies car c’est aujourd’hui considéré comme un facteur de risque de maladie cardiovasculaire, d’obésité et de diabète de type 2. D’autres études plus controversées font même état d’un lien avec le cancer et les maladies auto-immunes ou inflammatoires. 

En dépit de ces implications majeures en termes de santé publique, relativement peu d’interventions se sont avérées efficaces pour les personnes dont les essais avec les antidépresseurs conventionnels ont échoué à plusieurs reprises. En effet, le développement de traitements pour les troubles dépressifs s’est plutôt concentré sur les populations ne souffrant pas de TDR, et la prévention de la résistance n’a étonnamment jamais été considéré comme une priorité de santé publique …  

Pas de définition consensuelle

Plus de 90 guides de recommandation (« guidelines ») sont disponibles et visent à fournir une aide à la décision aux cliniciens s’occupant d’adultes souffrant de troubles de l’humeur. Ces guides proviennent de 83 pays et sont publiés en 27 langues. La plupart de ces guidelines ont été élaborées dans des pays à revenu élevé et intègrent des données scientifiques et des avis d’experts. Cependant en ce qui concerne spécifiquement les TDR, elles n’adoptent pas de définition consensuelle ! Pire, elles varient dans leur définition d’un traitement antidépresseur adéquat et font souvent l’amalgame entre TDR et non-TDR (notamment les personnes qui répondent partiellement aux antidépresseurs).

Par exemple, les antipsychotiques de deuxième génération (SGA), dont l’efficacité n’a pas été prouvée spécifiquement dans le TDR, sont très souvent recommandés pour cette pathologie en association avec des antidépresseurs, alors qu’en réalité les études qui les ont validé dans cette indication étaient plutôt réalisées sur des population de patients répondeurs partiels aux antidépresseurs (donc non-TDR).

Plusieurs définitions disponibles : petit récapitulatif

L’absence d’une définition consensuelle et validée constitue une limitation importante pour la recherche translationnelle, le développement de traitements, et la prise de décision clinique et politique. En effet, la voie vers des traitements plus ciblés en psychiatrie nécessite une délimitation plus précise du phénotype évalué.

Définition de la FDA et de l’EMA : la plus classique

La définition adoptée par la Food and Drug Administration (FDA) et l’Agence européenne des médicaments (EMA), qui est la définition la plus connue, est :

L’absence de réponse à au moins deux traitements antidépresseurs malgré une dose et une durée adéquate, avec une bonne observance du traitement.

FDA & EMA

Ces agences réglementaires reconnaissent elles-mêmes le manque de précision de cette définition et son chevauchement avec les définitions de la « réponse partielle » au traitement antidépresseur. La définition de l’EMA, contrairement à celle de la FDA, stipule un peu plus explicitement que les antidépresseurs qui ont échoué peuvent appartenir à la même classe ou à des classes différentes.

Les limites des définitions de la FDA et de l’EMA sont qu’elles ne définissent pas explicitement la non-réponse et qu’elles ne prennent pas en compte les interventions psychothérapeutiques, considérées comme des traitements de première ligne pour les dépressions légères ou modérées par la plupart des lignes directrices.

Par ailleurs, un groupe d’expert français à l’habitude d’ajouter à cette définition, la nécessité d’éliminer la pseudo-résistance et les atypicités, ainsi que la nécessité de réaliser des dosages plasmatiques.

Les différents modèles pour aller plus loin

Modèle Thase et Rush (MTR) : c’est le continuum d’essais d’antidépresseurs infructueux qui fait la résistance.

– Stade 1 = échec d’au moins 1 antidépresseur ISRS pendant 4 semaines
– Stade 2 = échec d’au moins 2 antidépresseurs
– Stade 3 = stade 2 + échec d’un antidépresseur tricyclique
– Stade 4 = stade 3 + échec d’un IMAO
– Stade 5 = stade 4 + échec des ECT

Ce modèle à l’avantage de la simplicité, du pragmatisme, de proximité avec la pratique clinique quotidienne, et il donne la priorité aux traitements les mieux tolérés. Cependant « l’échec » des essais de traitement n’est pas clairement défini. Par ailleurs en 2nd ligne il est en général logique de proposer un antidépresseur non apparenté au ISRS. En outre, les caractéristiques de la dépression, telles que la durée et la gravité de l’épisode, ne sont pas explicitement prises en compte et les interventions psychothérapeutiques ne sont pas mentionnées.

Modèle de Stratification de Maudsley (MSM) : il définit la résistance au traitement comme l’incapacité à atteindre un niveau significatif d’amélioration (c’est-à-dire une rémission clinique) après un traitement par un antidépresseur administré à une dose adéquate pendant au moins six semaines. Trois dimensions de la résistance sont prises en compte avec l’attribution de points pour grader la dépression :

L’échec du traitement :
– Un point pour un échec avec 1 ou 2 médicaments
– Deux points pour un échec avec 3 ou 4 médicaments
– Trois points pour un échec avec 5 ou 6 médicaments
– Quatre points pour un échec avec 7 à 10 médicaments
– Cinq points pour un échec avec plus de 10 médicaments.

Un point supplémentaire est attribué si le traitement d’augmentation a échoué, et un point supplémentaire si l’ECT n’a pas été efficace.

La durée de l’épisode dépressif :
– Un point si l’épisode est aigu (jusqu’à 12 mois)
– Deux points s’il est subaigu (de 13 à 24 mois)
– Trois points s’il est chronique (plus de 24 mois).

La gravité de la dépression :
– Un point si elle est subsyndromique
– Deux si elle est légère
– Trois si elle est modérée
– Quatre si elle est grave sans psychose
– Cinq si elle est grave avec psychose

Le stade global est défini comme léger (score total entre 3 et 6), modéré (score total entre 7 et 10) ou sévère (score total entre 11 et 15).

Ainsi, dans le MSM, la résistance est évaluée sur la base non seulement du traitement mais aussi des variables de la maladie, ce qui s’est avéré utile pour prédire les résultats à court et moyen terme. Dans ce modèle, le seuil de définition du TDR est bas, puisqu’il exige l’échec d’un seul traitement adéquat.

La encore, l’échec du traitement n’est pas clairement défini, et surtout l’attribution des notes est à certains égards arbitraire : par exemple, une pondération différentielle est attribuée aux populations qui échouent à au moins cinq traitements par rapport à celles qui échouent à moins de cinq traitements alors qu’aucune étude n’étaye ce « cut-off ». L’échec des psychothérapies n’est également pas pris en compte.

Le Groupe Européen pour l’Etude de la Dépression Résistante (GSRD) défini séparément :

La non-réponse : absence de réponse à un essai d’une durée de 6 à 8 semaines de tout traitement antidépresseur

Le TDR : absence de réponse à deux essais adéquats ou plus de différentes classes d’antidépresseurs, avec cinq niveaux de résistance différents en fonction de la durée totale des essais

La dépression résistante chronique : absence de réponse à plusieurs essais d’antidépresseurs, y compris des stratégies d’augmentation, d’une durée totale d’au moins 12 mois.

Les points forts de la méthode de classification de la GSRD sont la définition explicite de la non-réponse au traitement comme une réduction de moins de 50% du score total de l’échelle d’évaluation de la dépression de Hamilton (HAM-D) ou de l’échelle d’évaluation de la dépression de Montgomery-Åsberg (MADRS), et l’absence de hiérarchie implicite de l’efficacité des antidépresseurs. Les limites sont l’absence de validation des sous-catégories temporelles proposées (pourquoi 12 mois ?) notamment pour la définition de la dépression chronique (basée sur une durée d’au moins un an, ce qui est considérablement plus court que ce qui est généralement accepté, c’est-à-dire plus de deux ans).

Le Dutch Measure for quantification of Treatment Resistant Depression Model (DM-TRD) a été développé pour améliorer le système proposé dans le MSM. Aux variables prises en compte dans ce système, ce modèle ajoute :
– La déficience fonctionnelle (de 0 si pas de déficience, à 3 si déficience sévère)
– Le trouble de la personnalité comorbide (0 si non présent, 1 si présent)
– Les facteurs de stress psychosociaux (0 si non présent, 1 si présent)
– Les stratégies d’augmentation/de combinaison (0 si non utilisé, à 3 si > 5 médicaments)
– La psychothérapie (0 si non utilisé, à 2 si au moins deux psychothérapies EBM)
– L’intensification du traitement (0 si non utilisé, à 2 si traitement en milieu hospitalier).
– Les symptômes d’anxiété comorbide (0 si non présent, 1 si au moins un trouble anxieux du DSM-IV)

Le score total maximum est de 27.

Ce modèle est le plus complet en termes de variables incluses, bien que les comorbidités physiques et les stress de l’enfance ne soient pas prit en compte. Comme dans le MSM, le seuil de définition de la TDR est bas, exigeant l’échec d’un seul traitement adéquat, et la non-réponse n’est pas définie. La validité prédictive du modèle a été confirmée dans certaines études.

Le modèle de stadification du Massachusetts General Hospital (MGH-S) définit le TDR en intégrant le nombre d’essais ratés et l’intensité/optimisation de chaque essai, sans hypothèses sur la hiérarchie des classes d’antidépresseurs. Un point est attribué pour la non-réponse à chaque essai adéquat d’un antidépresseur commercialisé (durée d’au moins six semaines et dosage adéquat) et un demi-point est attribué pour chaque essai basé sur l’optimisation de la dose, l’optimisation de la durée ou une stratégie d’augmentation/de combinaison. Trois points sont attribués pour la non-réponse à l’ECT.

Les limites du MGH-S comprennent l’absence de définition de l’échec et surtout les scores arbitraires attribués aux traitements (pourquoi un demi-point pour certaines stratégies ?). Par ailleurs, le fait que l’optimisation de la dose ou de la durée du traitement soit pondérée de la même façon que les stratégies d’augmentation/de combinaison n’est pas soutenu empiriquement. Enfin l’attribution d’un point pour chaque antidépresseur ayant échoué peut générer un score total très élevé qui pourtant ne reflète pas la réelle résistance (un patient qui résiste à 6 ISRS aura un score plus élevé qu’un patient qui résiste à un ISRS, un IMAO et aux ECT).

Pourquoi ces définitions ne sont pas totalement satisfaisantes ?
Aucune des définitions existantes n’est universellement acceptée et/ou mise en œuvre dans la pratique clinique et aucune n’est étayée par un validateur externe et/ou un biomarqueur.  

A part le modèle DM-TRD, la plupart des définitions ne prennent pas explicitement en compte l’échec des psychothérapies. Pourtant les interventions psychothérapeutiques étant recommandées comme traitement de première intention chez les personnes présentant une dépression de gravité légère ou modérée, toute définition de la maladie de TDR ayant une utilité clinique devrait logiquement inclure la non-réponse à ces interventions.  

La plupart des définitions ont en commun l’absence d’un critère quantifiable et consensuel définissant la réponse ou la non-réponse aux antidépresseurs. Une autre limite est que la définition du résultat est basée sur l’évaluation du clinicien, alors que les résultats rapportés par le patient ne sont pas pris en compte ! En effet, même parmi les patients classés comme « répondeurs » par les cliniciens, beaucoup continuent à manifester des symptômes résiduels débilitants. Par exemple dans la fameuse étude STAR*D, seuls 10% des personnes dites « en rémission » étaient réellement totalement asymptomatiques. Logiquement si, par exemple, une personne est classée comme « répondant » au traitement mais continue à présenter des déficits cognitifs gênants, il devrait être considéré comme incorrect de considérer qu’il s’agit d’une réponse adéquate aux antidépresseurs.  

Aucune des définitions ne fait référence à la qualité de vie qui est pourtant l’une des variables les plus subjectivement importante et qui a même une dimension prédictive puisque les patients en rémission qui font état d’une altération persistante de leur qualité de vie ont un plus grand risque de rechute et de récurrence.  

Les définitions ne prennent pas en considération les facteurs sociaux, économiques, anamnestiques (par exemple, les expériences stressantes de l’enfance) et les facteurs interpersonnels qui, seuls ou en combinaison, sont connus pour modérer la réponse aux antidépresseurs.  

En outre, les résultats d’une récente étude de l’OMS sur la santé mentale montre que les stratégies d’add-on et de potentialisation sont en réalité sous employées et surtout qu’un délai considérable (6 à 9 mois !) s’écoule entre les différentes étapes (alors que ça ne dévrait théoriquement pas dépasser 6 à 8 semaines).

Le concept de dépression difficile à traiter (DDT)

La DDT est un exemple de cadre centré sur le patient décrivant les personnes ayant essuyé de multiples échecs aux antidépresseurs. Ce concept repose sur une approche biopsychosociale lorsqu’il s’agit d’examiner les facteurs de causalité, de perpétuation et de traitement des résultats médiocres de la dépression. Dans la DDT, l’objectif du traitement s’éloigne de la rémission pour se centrer plus vers le contrôle des symptômes, la récupération fonctionnelle et l’amélioration de la qualité de vie dans le cadre de la gestion des maladies chroniques. En effet, malgré l’absence de rémission, une amélioration plus modeste de la gravité globale des symptômes dépressifs peut se traduire par une amélioration significative du bien-être auto-évalué (par exemple une amélioration d’environ 35% du score MADRS total par rapport à la ligne de base peut être associée à une amélioration significative de la qualité de vie) d’ou la nécessité de définitions multidimensionnelles qui ne dépendent pas uniquement du seuil d’amélioration symptomatique, mais qui prennent en compte des dimensions fonctionnelles et de qualité de vie. Ainsi une importance particulière devrait être apporter à des éléments subjectifs mais décrit comme majeurs par les patients comme l’atténuation de l’émoussement émotionnel, de l’anhédonie, de l’anxiété et de la rumination plutôt que viser une rémission complète des symptômes qui ne sera en réalité que rarement atteinte.

La prise de décision partagée, les soins centrés sur le patient et axés sur les symptômes spécifiques qui le préoccupent, et l’intégration des modalités de traitement deviennent primordiaux dans la DDT comme dans les autres maladies chroniques. Bien que cette entité ne soit pas actuellement reconnue par les organismes de réglementation comme une voie d’approbation des traitements et d’autorisation de mise sur le marché, elle se rapproche davantage des présentations et des résultats réels chez les personnes atteintes de TDR.

Prévalence de la dépression résistante

Les différences de définition du TDR dont donné lieu à des estimations très variables de son taux de prévalence. On affirme souvent que cela touche environ 30% des personnes recevant un traitement antidépresseur dans les études type RCT, alors que sa prévalence dans la pratique réelle est estimée entre 6 et 55% selon les études vies réelles.

La plupart des personnes souffrant de ce trouble accèdent d’abord aux soins de santé mentale par le biais du système de soins primaires, où le temps manque pour appliquer les recommandations spécifiques et mesurer correctement l’évolution des troubles.

Une estimation provisoire de la prévalence du TDR en soins primaires ne peut être faite qu’indirectement en utilisant une approche de « cascade de traitement de la dépression  » : environ 10 à 15% des patients en soins primaires présentent des symptômes dépressifs cliniquement significatifs, et seulement la moitié de ces cas sont diagnostiqués, et seulement 25% d’entre eux se voient prescrire un antidépresseur. Parmi les personnes à qui l’on prescrit des antidépresseurs, la majorité interrompt le traitement prématurément, donc en réalité seuls 5 à 7% des personnes souffrant de dépression et traitées dans le cadre des soins primaires ne peuvent statistiquement parvenir à une rémission. L’approche en cascade décrite ci-dessus – qui intègre les aspects du mauvais diagnostic, de la non-observance, des essais de traitement inadéquats, ainsi que des lacunes dans la mise en œuvre – souligne la forte prévalence des résultats médiocres de la dépression dans les soins primaires, dont un pourcentage significatif devrait répondre aux critères de TDR.

Une estimation plus précise de la prévalence peut être faite en se référant à l’essai STAR*D, une étude multisite parrainée par le National Institute of Mental Health (NIMH) (18 centres de soins primaires et 23 centres de soins psychiatriques) menée aux États-Unis. Tous les sujets éligibles recrutés dans l’étude STAR*D avaient commencé un traitement par le CITALOPRAM. Après un essai de 12 semaines (traitement de niveau 1), les personnes qui n’étaient pas en rémission ont été assignées de manière aléatoire à l’une des sept approches de substitution/combinaison (niveau 2). En cas de non-réponse à un traitement de substitution/combinaison de niveau 2, les personnes étaient randomisées pour recevoir d’autres traitements (niveaux 3 et 4). Les définitions de la FDA et de l’EMA correspondraient à l’échec des traitements de niveau 1 et 2 dans l’essai STAR*D. Sur cette base, on peut estimer qu’environ 55% des personnes répondraient aux critères de la FDA/EMA (c’est-à-dire une réponse inadéquate à deux antidépresseurs ou plus malgré une intensité et une durée de traitement adéquates).

En résumé, alors que l’on affirme souvent que la dépression résistante touche environ 30% des personnes recevant un traitement antidépresseur, une définition plus multidimensionnelle fait passer cette estimation à environ 55%.

FACTEURS DE RISQUE DE LA DÉPRESSION RÉSISTANTE AU TRAITEMENT

La plupart des facteurs identifiés comme ayant un impact négatif sur les résultats des traitements antidépresseurs sont rapportés dans de petites études et sont décrits avec une intervention antidépressive particulière.

Facteurs sociodémographiques

Age. Il est établi que les personnes âgées échouent plus fréquemment à de multiples traitements antidépresseurs monoaminergiques. En revanche les psychothérapies et les ECT ne semblent pas avoir d’efficacité diminuée à cause de l’âge et une récente étude retrouve également une efficacité similaire (ou potentiellement supérieure si dose d’impulsion accrue) de la rTMS chez les adultes plus âgés comparativement aux sujets jeunes.

Sexe. Si plus de femmes sont deux fois plus touchées par la dépression, il ne semble pas que cela constitue un facteur de risque de TDR, et il en est de même pour les épisodes survenant dans le post-partum. Elles sont cependant plus représentées dans les études TDR mais c’est uniquement lié à leur sur-représentation dans le groupe initial.

Situation socio-économique. C’est clairement est un facteur de risque chez les personnes recevant des antidépresseurs monoaminergiques. Dans STAR*D, les personnes répondant aux critères de niveau 2 (c.-à-d. réponse inadéquate à deux traitements antidépresseurs séquentiels) étaient plus susceptibles de déclarer un revenu inférieur et de dépendre du système de santé publique. En outre, les personnes ayant un faible niveau d’éducation ou sans emploi sont plus souvent résistantes à plusieurs stratégies antidépressives séquentielles.

Age, sexe et situation socio-économique influencent le risque de résistance

Expériences négatives et traumatismes dans l’enfance

Il est bien établi que les mauvais traitements subis pendant l’enfance sont associés à une plus grande gravité de la dépression, à un âge d’apparition plus précoce, à un dysfonctionnement cognitif, à la présence de symptômes psychotiques et à des comorbidités physiques/psychiatriques, chacun de ces facteurs étant également associé à une réponse atténuée aux antidépresseurs et aux interventions psychothérapeutiques.

Les antécédents de violence émotionnelle dans l’enfance sont associés à une dépression récurrente, à une dépression persistante et à une résistance aux antidépresseurs. L’étude internationale iSPOT-D (International Study to Predict Optimized Treatment for Depression) a montré que, parmi les adultes souffrant de dépression et ayant subi un traumatisme entre l’âge de 4 et 7 ans, seuls 15,9% ont obtenu une rémission après 8 semaines d’un traitement de première ligne, contre 84,1% chez les personnes n’ayant pas subi de traumatisme dans leur enfance.

La réponse atténuée aux antidépresseurs chez les personnes ayant des antécédents de maltraitance dans l’enfance peut toutefois ne pas se produire avec tous les antidépresseurs. Par exemple, des données préliminaires suggèrent que la réponse au traitement de la dépression par la VORTIOXETINE ou la KETAMINE n’est pas réduite chez les personnes ayant subi un traumatisme, ce qui suggère des résultats différents en fonction du mécanisme d’action putatif des médicaments.

Plus généralement, les événements stressants de la vie ont été directement associés à une moins bonne réponse aux antidépresseurs couramment prescrits, ainsi qu’à une plus grande occurrence de comportements suicidaires et de comorbidités et à une plus grande sévérité des symptômes, qui sont des variables susceptibles de médier l’association avec une réponse atténuée aux antidépresseurs.

Facteurs cliniques

Sévérité de base. La sévérité de l’épisode initial est un facteur de risque largement reconnu par les études et qui est d’ailleurs inclus dans certains modèles de résistance

Durée. La durée de la maladie est également fortement associée à la résistance, des preuves répétées indiquant que la durée d’un épisode dépressif est inversement proportionnelle à la probabilité de réponse au traitement.

Symptômes. Certaines caractéristiques phénoménologiques de la dépression peuvent être associées à la résistance au traitement. Par exemple :

Les symptômes psychotiques (retrouvés chez 20% des adultes souffrant de dépression) sont fortement associés à la résistance

Les caractéristiques mixtes (25% des personnes atteintes de dépression) sont associées à une réponse atténuée aux antidépresseurs, bien qu’il reste à déterminer si elles constituent un facteur de risque spécifique de TDR, et surtout qu’elles sont un argument majeur pour orienter vers une bipolarité.

L’anhédonie est une composante essentielle de la dépression (observée chez 35 à 75% des patients), et peut être un facteur de risque de TDR chez les personnes dont les antécédents de traitement sont limités aux ISRS.

Les déficits cognitifs sont prévalents, persistants et augmentent souvent progressivement en fonction de la gravité et de la durée de la maladie ; ils sont associés à une réponse atténuée à certains antidépresseurs et peuvent représenter un facteur de risque de TDR.

Les symptômes d’anxiété sont fréquemment signalés dans les populations souffrant de TDR, et leur présence est associée à une présentation plus sévère de la maladie, à une plus faible probabilité de rémission, à des comorbidités et à une suicidalité plus élevée. Les résultats de l’étude STAR*D indiquent que les personnes souffrant de dépression anxieuse présentent une réponse antidépressive atténuée et sont plus susceptibles de développer un TDR. L’étude GSRD a également montré que les troubles anxieux étaient surreprésentés chez les personnes répondant aux critères de TDR

Les comorbidités psychiatriques et physiques sont à la fois un facteur de risque et une conséquence du TDR (qui est lui-même un facteur de risque de comorbidités notamment maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, l’ostéoporose, le syndrome métabolique, etc.)

Comment diagnostiquer la dépression résistante ?

L’évaluation d’un individu souffrant de dépression en vue de la personnalisation du choix et de la séquence du traitement a déjà fait l’objet d’une revue spécifique. Ici, nous nous concentrons spécifiquement sur le processus d’évaluation visant à confirmer la présence d’un TDR et à exclure la possibilité d’une pseudo-résistance.

Nous passons ici en revue les facteurs modifiables les plus courants qui contribuent à la pseudo-résistance, notamment l’inexactitude du diagnostic de la MDD, l’inadéquation des essais de traitement actuels et antérieurs, l’évaluation inexacte de la réponse et les différences individuelles dans le métabolisme des antidépresseurs.

1. Faire le diagnostic précis de la dépression

L’inexactitude du diagnostic de la dépression majeure est une raison fréquente de la pseudo-résistance. On estime qu’environ la moitié des personnes souffrant de dépression ne sont pas correctement diagnostiquées. Un scénario assez fréquent dans la pratique clinique est celui du patient déprimé qui présente une résistance à plusieurs antidépresseurs séquentiels et dont le diagnostic correct devrait être un trouble bipolaire au lieu d’une dépression.

En effet, pour la plupart des personnes atteintes d’un trouble bipolaire, la dépression est la présentation de référence, ce qui justifie de reconsidérer le diagnostic de dépression chez toute personne présentant un TDR. En effet, il est rapporté que les personnes à qui l’on a prescrit plusieurs essais d’antidépresseurs qui ont échoué ont une probabilité beaucoup plus grande d’avoir un diagnostic sous-jacent de trouble bipolaire que les personnes à qui l’on a prescrit un seul essai d’antidépresseur. De plus, il est rapporté que la transition d’un diagnostic de dépression à un diagnostic de trouble bipolaire se produit à un taux d’environ 1-3% par an, ce qui indique que l’évaluation diagnostique doit être reconsidérée dans toutes les présentations de TDR.

Plusieurs outils de dépistage du trouble bipolaire ont été validés, notamment le Rapid Mood Screener (RMS), le Patient Mania Questionnaire (PMQ), le Mood Disorder Questionnaire (MDQ), l’Hypomania Checklist-32 (HCL-32) et l’index de bipolarité. Bien que ces outils de dépistage ne soient pas suffisants pour diagnostiquer un trouble bipolaire, ils peuvent être utilisés de manière routinière dans la pratique clinique et, s’ils sont positifs, ils justifient une évaluation plus complète de la présence éventuelle d’un trouble bipolaire.

Il sera bientôt possible de réaliser un test biologique pour rechercher une bipolarité
  Le test Edit-B, basé sur l’épigénétique, bientôt commercialisé en France, devrait permettre d’améliorer le diagnostic de bipolarité.  

Outre le dépistage du trouble bipolaire, il convient de diagnostiquer et de prendre en charge les troubles comorbides pertinents s’ils sont présents. Il s’agit notamment des troubles liés à la consommation d’alcool et de drogues, des troubles anxieux, des troubles de la personnalité et de certaines maladies organopsychiatriques (troubles hormonaux ou inflammatoires, etc.)

2. Déterminer l’adéquation des essais thérapeutiques

L’adéquation d’un traitement antidépresseur fait référence au choix du médicament, à sa dose, à la durée du traitement et à l’adhésion du patient. Une caractérisation complète et précise des régimes médicamenteux actuels et passés est nécessaire pour confirmer la présence d’un TDR, et peut être obtenue à l’aide de plusieurs instruments.

Le formulaire d’historique du traitement antidépresseur (ATHF) est un instrument de saisie de données qui peut être mis en œuvre sur le lieu de soins. Il a été développé à l’origine dans le cadre d’études sur l’ECT et a ensuite fait l’objet d’une application clinique et de recherche plus large. Il comporte des critères explicites pour évaluer la réponse aux traitements pharmacologiques et de neurostimulation, et est également disponible dans une version plus courte (ATHF-Short Form, ATHF-SF). D’autres instruments permettant de saisir et d’enregistrer les traitements antidépresseurs actuels et antérieurs sont le questionnaire auto-évalué sur la réponse au traitement antidépresseur du Massachusetts General Hospital (ATRQ) et le Maudsley Treatment Inventory.

Tout d’abord, la pertinence du traitement antidépresseur doit être confirmée puis l’adéquation de la dose du médicament doit ensuite être examinée, ainsi que la durée de traitement. La durée généralement considérée comme optimale étant de 4 à 6 semaines avec un dosage optimal, bien que 60 % des personnes ayant obtenu une rémission dans l’essai STAR*D avec un traitement de niveau 1 l’ont fait après la sixième semaine de traitement, ce qui indique qu’une sous-population d’adultes souffrant de dépression peut nécessiter des essais de traitement plus longs. On pondèrera cette affirmation car certaines études ont également prouvé que l’absence d’évolution dans les 15 premiers jours de traitement était prédictif de l’échec du traitement à plus long terme, raison pour laquelle certains centres et praticiens proposent des switchs dit « rapides » si rien ne bouge dans les 2 ou 3 premières semaines de traitement.

L’adhésion au traitement doit également être évaluée car il existe une inobservance massive de très nombreux traitements et les antidépresseurs ne font pas exception : environ 30 à 50% des personnes à qui l’on a prescrit des antidépresseurs n’adhèrent pas au traitement en phase aiguë. L’évaluation de l’observance thérapeutique comprend le comptage des comprimés et l’auto-évaluation du patient. Des systèmes de capteurs numériques ont été utilisés dans des études universitaires pour documenter l’observance, mais ils ne sont pas facilement disponibles pour une mise en œuvre clinique.

3. Évaluer les résultats des essais antérieurs d’antidépresseurs

La définition de la résistance implique la quantification des résultats thérapeutiques des traitements antidépresseurs antérieurs. Seuls le modèle GSRD définit explicitement la non-réponse au traitement comme une réduction de moins de 50% du score total sur le HAM-D ou le MADRS. Cela peut représenter une référence utile dans la pratique clinique ordinaire.

Cependant, comme dit précédemment, chez certains patients, une réduction du score MADRS total d’environ 35% peut être associée à une amélioration significative de la qualité de vie, ce qui confirme la nécessité de définitions multidimensionnelles qui ne dépendent pas uniquement du seuil d’amélioration symptomatique : l’utilisation de mesures telles que l’indice de bien-être de l’Organisation mondiale de la santé (OMS-5) peut être suggérée à cette fin.

4. Faire des tests pharmacogénomiques et évaluer les concentrations sanguines d’antidépresseurs

Des données indiquent qu’un sous-ensemble de patients souffrant de TDR peut ne pas répondre aux antidépresseurs en raison d’une biodisponibilité sous-optimale de l’antidépresseur administré, due à un statut de métaboliseur rapide. Les données disponibles indiquent que les variations alléliques des cytochromes CYP2D6 et CYP2C19 sont particulièrement associées à la réponse aux antidépresseurs.

En particulier, les phénotypes du CYP2D6 peuvent être importants chez certains patients prenant des Tricycliques et de la VENLAFAXINE, et les phénotypes du CYP2C19 chez certaines personnes prenant des Tricycliques, du CITALOPRAM, de L’ESCITALOPRAM et de la SERTRALINE. Bien que les tests pharmacogénétiques ne puissent pas être recommandés en tant qu’évaluation de routine dans TDR, certaines données préliminaires suggèrent que, dans certaines circonstances, ils peuvent être justifiés, et de plus en plus de praticiens spécialisés dans la résistance les proposent.

En France, il est possible de réaliser des tests pharmacogénétiques
 Plusieurs hôpitaux proposent ces tests à la demande de leurs praticiens, et dans un futur proche certains laboratoires ont prévu de commercialiser un test pharmacogénétique dopé à l’IA afin de permettre de prédire à l’avance la probabilité de répondre à un traitement antidépresseur.  

Les concentrations sanguines doivent être surveillées chez les personnes qui ne répondent pas au traitement par certains traitements à l’aide d’un dosage plasmatique du traitement.

Conclusion

La définition de la résistance n’est pas consensuelle mais cet article reprend les différentes définitions et classifications. On reprend également les principaux éléments diagnostics mais on regrettera tout de même l’absence de proposition de bilan exploratoire détaillé.

Dans un prochain article nous verrons la prise en charge de la dépression résistante !

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